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écoulées. Elles ont amené un recul suffisant pour mieux comprendre la douloureuse période que j’ai traversée. Elles m’ont donné un souffle de liberté que je ne connaissais plus ! Elles me font plaindre de plus en plus les populations qui subissent le joug allemand et qui montrent, sans défaillance, un courage indomptable. Elles font croître et s’amplifier mon admiration pour elles.


DANS LA GEÔLE

Au lendemain de l’occupation, notre première souffrance fut de constater la réapparition de l’élément boche. La déclaration de guerre avait permis d’expulser les Allemands qui n’avaient pas été déjà rappelés par la mobilisation. Ils avaient juré de se venger. Et maintenant ils revenaient, la plupart sous l’habit militaire, avec une morgue insolente et hautaine ! Les uns rentraient dans Bruxelles, les autres dans Anvers, ces villes qui les avaient si bien accueillis et où ils s’étaient enrichis. Ils servaient de guides à leurs compagnons et ils n’avaient point hésité, au cours de l’invasion, à commander les pires massacres et les pillages les plus éhontés[1] ! A présent, ils étaient les maîtres. Ils nous le feraient bien voir. Il y avait parmi eux des officiers de la landsturm, mais il y avait surtout une nuée de fonctionnaires qui s’était abattue sur Bruxelles. A les voir réclamer des prix « de pension » dans nos grands hôtels comme le Palace ou l’Astoria, à les voir se pavaner dans des victorias ou des calèches venues de Berlin et conduites par des cochers en uniforme militaire, à voir surtout des femmes allemandes venues pour rejoindre leurs maris, nous étions secouées d’un grand frisson d’angoisse : comptaient-ils donc s’installer pour longtemps ?

Et cette police ! Je ne parle même pas de ces agens en uniforme gris, en casque à pointe, avec une plaque de cuivre portant le mot « polizei » suspendue sur la poitrine, de ces hommes postés aux carrefours afin de surveiller la circulation :

  1. Quand il s’agissait de pillage, il parait que les officiers supérieurs, dans la plupart des cas, se réservaient les pièces du rez-de-chaussée (salons, salles a manger), argenterie, porcelaines d’art… ; les lieutenans et les sous-lieutenans devaient se contenter des chambres à coucher, et les mansardes et les cuisines étaient abandonnées aux ordonnances. Que de châteaux et de belles propriétés ont été ainsi systématiquement saccagés !