Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/103

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ardeur dépensière d’antan ; nous ne serons pas pauvres : on n’est jamais pauvre en France où, écrivait un historien de Paris, « le peuple sait être riche même quand on lui prend son épargne ; » mais nous aurons à solder le prix de la victoire ; nul, bien certainement, n’estimera qu’on la paie trop cher, encore que certains considèrent déjà avec amertume l’amoindrissement de revenus, naguère jugés à peine suffisans, et que vont rogner sensiblement la majoration des impôts, la « lourdeur » des cours, le rapide et progressif renchérissement des denrées. On n’avait pas tout à fait assez pour vivre selon ses prétentions ; — de tout temps, les plus fortunés ont possédé « un peu moins qu’assez ; » — on devra se réduire et l’on s’effare. Déjà quelques-uns crient misère ; d’autres tirent gloriole de la pénurie menaçante ; car nous allons voir indubitablement renaître une mode qui semblait abolie depuis le Directoire : le suprême bon ton, en ce temps-là, consistait à être complètement ruiné : on regrettait fort de n’avoir pas été un peu guillotiné sous le règne de Robespierre ; mais on devait monter à l’échafaud le lendemain du 9 thermidor, et, sauf la vie, on se vantait d’avoir tout perdu, terres, rentes, pensions, emplois, voulant ainsi se distinguer des « nouveaux riches, » expression qui n’est pas nouvelle et qu’on rencontre à satiété chez les chroniqueurs des premières années du XIXe siècle. À une belle quêteuse qui sollicitait son aumône, l’auteur du Génie du Christianisme répondait, d’un ton navré, mais non sans orgueil : « Je n’ai pas un écu vaillant ; je vis pêle-mêle avec les pauvres de Mme de Chateaubriand !… » C’était l’époque où le cours de la Bourse était si bas que le cinq pour cent se cotait à six francs : — vous entendez bien : — un capital une fois versé de six francs, — assurait a perpétuité une inscription au Grand Livre pour cinq francs de rente annuelle : et personne ne risquait son argent, soit qu’on n’en eût pas, soit qu’on redoutât ce nouveau genre d’agiotage.

Les gens d’autrefois professaient, en général, un beau dédain de la spéculation et de l’argent dont la source n’était pas limpide. Ceux de la classe moyenne vivaient du revenu d’un bien de campagne qu’ils faisaient valoir, d’une modeste charge héritée ou acquise et, comme leur existence était suffisamment occupée, sans surmenage, par ces paisibles devoirs, ils avaient résolu le problème, — que nous aurions profit à étudier, — d’être riches