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avec peu de ressources. Sauf exception de comédies, dont M. Jourdain demeure le personnage type, l’envie ne leur venait jamais de prendre part aux amusemens perpétuels, aux sarabandes mondaines, de ce qu’on appelait alors « les personnes de qualité. »

C’est que, dans ces intérieurs de jadis, chacun avait sa tâche et s’y plaisait : de toutes les causes de dissipation l’oisiveté étant la plus exigeante, on la redoutait à l’égal d’un fléau et on se garait d’elle comme d’un mal insidieux. Il y a peu de maisons bourgeoises où ne soit conservé quelque portrait de trisaïeule, mi-citadine, mi-campagnarde, montrant une belle figure épanouie, un peu rougeaude, mais réjouissante de santé, de calme et de satisfaction. La bonne dame a fait toilette pour poser devant le portraitiste de passage, soucieuse de se présenter dans ses plus beaux atours aux regards respectueux de sa postérité : trois coques de cheveux bouffent sur chacune de ses joues ; le plus magnifique bonnet de son trousseau nimbe sa tête d’une auréole de jolie dentelle ; un châle brodé est épingle sur ses épaules, et ses deux mains, croisées sur sa poitrine, exhibent à leurs doigts toutes les bagues de la maison. Aimables Françaises d’aujourd’hui qui, peut-être, vous épouvantez des restrictions dont est menacé votre budget, et qui bornez pour le moment vos projets de réforme à des lamentations et à des « Comment va-t-on faire ? » interrogez cette image de grand’mère, si, toutefois, vous ne l’avez pas reléguée au grenier pour la remplacer, sur les murs de votre salon, par quelque portrait d’ancêtre plus flatteur, mais moins authentique ; elle vous répondra et vous recevrez d’elle leçon autrement profitable que du plus expérimenté des économistes. La bonne dame au bonnet et au châle était levée, tous les matins, avec l’aube ; attentive atout, elle allait du potager à l’étable et de l’office au poulailler ; elle excellait aux confitures et présidait à la lessive : elle régnait sur le fruitier, embaumé de la persistante odeur des pommes, et sur l’armoire au linge qui sentait bon la lavande et le vétiver. À la campagne, elle tenait compte des gerbes engrangées, s’occupait des semailles et percevait les fermages ; elle connaissait d’admirables recettes, et si quelque visiteur la surprenait dans sa cuisine, les bras enfarinées, en train de battre la pâte d’une tarte, elle n’en avait point de gêne, et bavardait sans quitter sa besogne. Il faisait bon dîner chez elle, ce qui n’avait