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autrement qu’en parade et en perpétuelle représentation. Est-ce bien sûr ? Ce qui reste du château de Louis XIV est le somptueux décor de la monarchie, et certes on peut penser que les merveilles d’un tel logis influaient sur les allures de ses occupans ; mais, en dehors des cérémonies pompeuses contées par les Saint-Simon, les Dangeau, les Luynes, on s’aperçoit, quand on furette dans les détails dédaignés par la grande histoire, que les acteurs de ces galas, une fois leur rôle déposé, avaient hâte de se mettre en pantoufles et vivaient « à la bonne franquette, » selon une expression qui leur était chère et qui reste plaisante parce qu’elle est bien de chez nous. L’étiquette, si sévère et respectée fût-elle, n’entamait pas chez eux l’atavique gaminerie de la race : lors du sacre de Louis XVI, les chevaliers du Saint-Esprit, réunis à l’archevêché de Reims en chapitre solennel, virent, sans en être choqués, ni même étonnés, le jeune roi, jusqu’alors si recueilli au cours des longues cérémonies, gambader d’aise en présence de la noble assistance, dès qu’on l’eut désaffublé de l’écrasant manteau qui lui pesait aux épaules[1].

Il n’y a, sans doute, dans aucun palais du monde, salle plus superbe que la chambre à coucher du Roi, à Versailles : c’est, à proprement parler, une sorte de temple, un sanctuaire, où tout est noble, riche, imposant, évocateur de défilés réglés comme des ballets et majestueux comme des offices. Se représente-t-on Louis XV, qui coucha dans celle pièce jusqu’en 1738, sortant de son lit de bon matin pour allumer lui-même son feu[2] ? Voit-on bien le roi de France, les jambes nues sous sa belle robe de chambre en soie blanche, accroupi devant la cheminée, échafaudant des bûches, déliant des cotrets et soufflant sur les braises, pour ne pas déranger ses domestiques ? « Il faut laisser dormir ces pauvres gens, disait-il, je les en empêche assez souvent. » Un bourgeois, en notre temps de démocratie, n’eût-il qu’un valet de chambre, ou même une bonne à tout faire, refuserait de s’astreindre à une corvée si humble et si réfrigérante.

Même simplicité de façon à l’heure du a coucher du Roi. » Ceux qui ont l’honneur d’y assister égaient autant qu’ils le peuvent, — à l’époque de Louis XVI, du moins, — cette obligation

  1. Mémoires du duc de Croy, p. 328.
  2. Mémoires du duc de I.uynes, 26 novembre 1737. Cité par Nolhac, Le Château de Versailles sous Louis XV.