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régime, roulant carrosse avec piqueurs et valets de pied, que de voir Mme de Vintimille ou Mme de Fezensac descendre de la diligence d’Arpajon ou d’apprendre que la comtesse de Lubersac, au château de Saint-Maurice, écumait le pot-au-feu, tournait la broche et donnait, tous les dimanches, 24 sols à son mari pour jouer à la bouillotte. On rencontrait, dans le faubourg Saint-Denis, Mme Molé voyageant, de Champlâtreux à Paris, dans une carriole qu’elle empruntait et dont aurait rougi un notaire de chef-lieu de canton[1] ; et, des fenêtres du faubourg Saint-Honoré, on apercevait M. de Boissy, « en pet-en-l’air, faisant, dans le jardin de son hôtel, des fagots destinés à sa cuisine. » Même quand vint la Restauration et qu’on reprit de l’importance, alors qu’on pouvait croire au renouveau de l’ancien monde, on continua de vivre à sa guise, sans souci d’éblouir, ni d’accroître, en se guindant, son bon renom, préoccupation de parvenu qui ne vaut que par son argent. Les jeunes mondains de cette époque-là riaient entre eux de M. le baron de Damas, qui, ministre de la Guerre sous Louis XVIII, ne sortait jamais de chez lui le soir et se couchait invariablement à neuf heures[2]. Les visiteurs surprenaient M. le vicomte de Martignac, président du Conseil, arrosant, habit bas, le jardin de son hôtel[3], et, tous les jours, depuis l’automne de 1815 jusqu’à la fin de 1818, on rencontrait, vers une heure de l’après-midi, M. le duc de Richelieu, autre président du Conseil, sortant de l’hôtel de la Chancellerie pour fumer sa pipe au pied de la colonne Vendôme et dans la rue de la Paix. Il gagnait ainsi le boulevard et poussait jusqu’à la Madeleine, sans quitter sa bouffarde d’écume qu’il rebourrait et allumait tout en marchant, ce qui attirait d’autant plus l’attention que l’usage du tabac n’était point alors répandu comme il le fut plus tard. Arrivé à la rue Royale, le duc de Richelieu, toujours fumant, revenait sur ses pas, et il ne changeait jamais de parcours parce que. s’il parvenait au ministère une dépêche importante, l’huissier, qui avait la consigne, venait prévenir l’Excellence[4].

Mœurs patriarcales dont l’exemple est donné par les hôtes

  1. Souvenirs du baron de Frenilly, p. 264, 251, 270.
  2. Journal du comte Rodolphe Apponyi, publié par M. Ernest Daudet, I. 20.
  3. Docteur Poumiès de la Siboutie, Souvenirs d’un médecin de Paris, publiés par Mmes A. Branche et L. Dagoury, ses filles, p. 197.
  4. Armand Marquiset, A travers ma vie, p. 98.