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réunions d’une folie charmante, intarissable en badinages, en plaisanteries de toute nature, tempérées par le sens exquis des convenances et qui, « par l’esprit et l’urbanité, étaient la capitale de Paris et faisaient de Paris la capitale du monde[1]. »

La société de la province tenait à ces vieilles habitudes et s’en trouvait bien. Plus réfractaires, et pour cause, à l’intoxication de l’argent et à la ridicule émulation de dépenses dont il est la cause, elle vécut, jusqu’en 1830, sur le vieux fonds des amusemens ancestraux, sans avoir l’idée d’innover en cette matière où tout changement est périlleux. Et c’était délicieux, à en croire les souvenirs un peu négligemment rédigés mais très sincèrement évoqués par une femme de la société poitevine, la vicomtesse de Poilouë de Saint-Mars, née Gabrielle de Cisternes, qui devint auteur, et auteur prolixe, sous le pseudonyme de Dash, emprunté à son bien-aimé king’s Charles.

Ah ! la bonne ville qu’était Poitiers au temps de l’Empire et de la Restauration ! Ce n’étaient que bourgeois exquis, douairières éblouissantes, prélats indulgens, galans militaires, gentilshommes irrésistibles et magistrats incomparables. Les belles dames y étaient d’une vertu insoupçonnable et les jeunes filles n’avaient jamais feuilleté ni roman ni livre futile ; les plus hardies et les plus avancées se vantaient, — en cachette, — d’avoir lu Florian. Tout de même, l’existence s’écoulait en réjouissances perpétuelles : à personne ne serait venue l’ambition mesquine et grotesque de s’obérer pour paraître aussi bien renté que le voisin, et le plaisir semblait à tous d’autant meilleur qu’il était moins coûteux. La cérémonie était bannie comme un trouble-fête : on se rejoignait, par les beaux soirs, à Blossac, — Blossac est une promenade publique dont les habitans de Poitiers sont justement orgueilleux ; — on faisait cercle, on jabotait de tout ; quand la nuit tombait, l’une des dames présentes proposait de rentrer chez elle : c’était à tour de rôle ; on soupait d’un morceau de jambon ou d’un reste de veau froid découvert dans le garde-manger ; on buvait frais le vin du pays que « les messieurs » allaient tirer au tonneau ; on faisait des chansons ou on dansait au ronron d’un simple violon raclé par un homme de « la coterie. »

L’été, on s’invitait à la campagne et l’on menait « la vie de

  1. Frenilly, 334.