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affaires de la manière qui convenait. M. de Bülow, lui, a entendu prononcer ce mot tranchant : « La diplomatie travaille sur la chair humaine... Die Diplomatie ist Arbeit in Menschenfleisch. » Aussi, ce maître homme s’égarait-il rarement dans ses appréciations et dans ses prévisions. « Il se gardait bien, dans ses rapports avec l’étranger, de jamais user du ton didactique, de jamais vouloir donner une leçon. Il ne se mêlait des affaires d’un autre peuple qu’en se fondant sur la connaissance approfondie de la mentalité étrangère et que dans le cas où il était sûr de l’effet de sa parole. » Ce portrait est exact. Cependant, plus d’une fois, malgré son flair, sa prudence et son acquis, le prince de Bismarck lui-même s’est trompé.

M. de Bülow engage les imitateurs de ce grand diplomate à ne pas se mettre martel en tête pour autrui et à ne pas prétendre éclairer les peuples sur leur intérêt ; car les peuples, comme les individus, croient savoir à quoi s’en tenir et accueillent mal les conseils de leurs adversaires. Ni conseils, ni sermons ne sont de mise en pareil cas. Ainsi, l’auteur de la Politique allemande convient qu’il serait sage aux Allemands de ne pas trop recommander aux autres pays leur Kultur. Ce qui vaut mieux, c’est d’expliquer qu’ils veulent avant tout la sécurité et la force de l’Allemagne.

« Dans la guerre actuelle, ajoute-t-il, il s’agit au premier chef de problèmes politiques et économiques de la solution desquels dépendra, pendant des générations, le bonheur ou le malheur de notre peuple, et non pas précisément des choses de la Kultur. D’ailleurs, le meilleur moyen de soutenir, de développer et de répandre cette Kultur, consiste à lui garder son caractère propre et à soustraire la vie intellectuelle allemande à toute influence pernicieuse venue du dehors. Quel génie chez nous a jamais conquis le monde aussi pleinement et s’est jamais imposé aussi victorieusement que Richard Wagner ? Et d’autre part, qui donc a jamais résisté, comme lui, à toute influence étrangère ?... C’est un souvenir déplorable que celui de la faveur que, bientôt après la campagne de 1870, nous accordions à Sardou, à Dumas, à Augier et à d’autres médiocrités au détriment d’Otto Ludwig, de Hebbel et Grillparzer ! » Mais ces médiocrités-là, n’en déplaise à M. de Bülow, plaisaient plus à l’empereur Guillaume II que les ennuyeuses célébrités allemandes dont il fait tant l’éloge.