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dangereuse des nations de l’Europe et la mieux faite pour y devenir tour à tour un objet d’admiration, de haine, de pitié, de terreur, mais jamais d’indifférence. » Aveu digne de remarque et qui fera l’objet de ma conclusion.

L’ennemi lui-même est obligé d’avouer que les qualités de la France l’emportent sur ses défauts et de dire qu’elle est capable des plus grands desseins comme des plus grandes entreprises, s’intéressant aussi bien aux généralités qu’aux détails et portant ses vues ardentes sur tout. Le prince de Bülow, si disposé à louer, à admirer sa propre patrie, ne la flatte guère cependant par cette constatation sortie de sa plume : « Nous autres Allemands, par notre maladresse politique, par les déformations et la confusion de notre vie nationale, nous n’avons que trop souvent trahi le succès de nos armes, et par notre politique intérieure mesquine et à courtes vues, nous nous sommes rendu impossible pendant des siècles une politique étrangère féconde. Nous ne sommes pas un peuple politique. » Un ancien fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, le directeur Althoff osait même aller plus loin. S’il admettait avec orgueil que le peuple allemand fût le plus savant de la terre et le plus capable à la guerre, il ajoutait : « Comment pouvez-vous vous étonner que nous soyons des ânes en politique ?... » Cela continue, car la politique étant le sens des généralités, l’Allemand n’ayant pour but que de placer l’intérêt général après l’intérêt le plus restreint, est incapable d’avoir un sens politique avisé. On peut, en conséquence, répéter avec Goethe « que l’Allemand est capable dans le détail et piteux dans l’ensemble. »

Au portrait que Tocqueville a fait de notre pays et qu’a deux fois reproduit M. de Bülow, il me plaît d’ajouter ici celui que Jean-Louis de Guez, sieur de Balzac, en traçait dans le Prince, sa remarquable étude sur la situation politique de la France sous Louis XIII. Le philosophe remarque que la Fortune a toujours gouverné en souveraine parmi nous. « On a mis, dit-il, en proverbe notre légèreté, notre inconstance, notre folie. On a dit que la France était un vaisseau à qui la tempête servait de pilote... Toutes les maximes reçues universellement pour véritables se sont trouvées fausses en ce qui nous regarde. Tous les signes d’une mort certaine ont été vains, quand ils ont paru sur nous. Toute la sagesse étrangère s’est trompée au jugement qu’elle a fait de notre monarchie. » Balzac rappelle