Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le châtelain de Coucy, connu par certaines de ses œuvres comme type symbolique d’amant « courtois » et passionné, entre de plain-pied dans la légende. Ce qui consacre sa double réputation, c’est le roman qui le met lui-même en scène, le récit qui porte pour titre deux noms désormais inséparables, celui sous lequel on le qualifiait communément et celui d’une personne fictive, le roman du Châtelain de Coucy et de la Dame de Fayel.

C’est le récit des amours tragiques d’un chevalier dont l’auteur fait un châtelain de Coucy, poète et guerrier, portant prénom de Renaud et les armes de la famille de Magny, avec une femme noble du Vermandois, qu’il donne pour la femme du seigneur de Fayel, nom de château pris au hasard, semble-t-il, parmi les manoirs de la région. Fayel, de nos jours plus habituellement orthographié Fayet, était hier encore un village dont la carte certifiait l’existence, et qu’on y trouvait s’accotant à un assez large bois, à une lieue dans le Nord-Est de Saint-Quentin. Entre la résidence du châtelain, Fayet, Saint-Quentin, Moy, Vendeuil et La Fère, avec la Terre-Sainte au loin, se déroulent les épisodes et les scènes. Le trait final, le mari jaloux faisant manger par sa femme le cœur déguisé de son amant, représente l’arrangement, à la mode du temps, du vieux thème légendaire, peut-être d’origine celtique, la navrante histoire déjà versifiée dans le lai qu’Iseut chante en s’accompagnant sur la harpe, un jour de détresse infinie, comme le racontent, en français archaïque et charmant, nos vieux poètes à nous, pillés par d’autres.

Le roman est écrit en vers de huit pieds, rimes en rimes plates, le tout selon les rites de ces sortes d’ouvrages. Çà et là sont intercalées des pièces de vers présentées comme composées et même dites par le héros : ce sont précisément les chansons qui sont l’œuvre avérée du châtelain de Coucy, ainsi incorporées, par ce procédé, à la narration propre. On peut admettre que l’auteur, originaire de la région et la connaissant à merveille, s’appelait, à peu de chose près, Jacquemond Saquespée. L’époque reconnue de la vie de Renaud de Magny est comprise dans le premier tiers du treizième siècle : la date de la composition du roman se placerait au plus tard à deux générations de distance.

L’histoire amoureuse et farouche, objet de confusions fréquentes,