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seul bien qui lui reste au monde, il l’emporte avec lui : deux tresses dorées, longues, soyeuses, lourdes, que son amante lui offrit, comme une part d’elle-même. Il les met sur son heaume. Le Chevalier Qui Porte Tresses, ainsi le nomment là-bas les Sarrasins qu’il terrifie. Mais le poison d’une flèche a raison de lui. Il veut revoir la France. Il expire en mer. Son écuyer revient seul, rapportant à la dame, sur l’ordre du mourant, dans un coffret, son cœur desséché, avec une lettre dernière et les blondes nattes.

Aux abords de Fayel, l’écuyer se fait surprendre. Alors, comme au temps d’Iseut offerte aux lépreux de Tintagel, le seigneur de Fayel accomplit un acte féroce. Il fait accommoder le cœur comme un mets délicat. La dame, au souper, le mange, insoucieuse, et même en vante la saveur. La vérité criée par l’époux, la lettre et les nattes certifiant le sacrilège, elle jure simplement que nulle chose ne mangera jamais plus. Et lors, dit le vieux texte : « Ne demoura gaires après — Qu’elle requit à Dieu merci — Et l’ame del corps s’emparty. »

Telle était la fin que la légende et la fiction prêtaient au châtelain de Coucy et à l’objet de sa passion. Sous l’éclat du titre de sa charge plus que sous le bruit de son nom, Renaud de Magny a conquis l’illustration qui se peut acquérir par le verbe et l’image. Lui aussi, comme Enguerrand III, aurait pu se dire : Exegi monumentum...

S’il ne construisit pas, comme le grand féodal, la forteresse magique dont rien ne subsiste plus aujourd’hui, s’il ne la posséda pas souverainement, on peut cependant l’imaginer, châtelain du château, vivant à son ombre, parcourant ses chemins de ronde, faisant sonner ses pas dans la vis du donjon, atteignant la plate-forme et la crête du couronnement, et là, silencieux, quelque soir de mai, au sommet de la tour géante, les trompettes guerrières une fois tues, écoutant par-dessus les vergers de la côte la voix musicale qui lui donnait le rythme et le départ d’un de ses poèmes : « La douce voix du rossignol sauvage... »


Ni donjon, ni château, ni ville n’existent plus. Les Zerstörungkommandos et les Zerstörungpiquets se sont chargés de la besogne, à loisir, avec des soins de professeur. La masse informe des débris écroulés sur le promontoire coule et descend le long