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d’agression, il y aurait là des diversions s’entretenant elles-mêmes. Aussi bien, la proie était tentante ; n’avions-nous pas laissé nos ennemis s’insinuer partout dans nos colonies, cueillir le fret dans nos ports, ouvrira Hambourg des marchés pour les palmistes de notre Afrique Occidentale, les bois du Gabon, le caoutchouc de Madagascar ?

L’avenir leur semblait si peu douteux qu’ils avouaient leurs ambitions et menaient presque publiquement leurs intrigues ; quelques mouvemens indigènes, pensaient-ils, suffiraient à ruiner la souveraineté française, très peu enracinée ; l’Allemagne organisatrice interviendrait alors et ne tarderait pas à tout pacifier, à tout exploiter scientifiquement. Une rapide comparaison de deux livres fera comprendre le cynisme et découvrira les procédés de nos adversaires ; l’un est l’ouvrage d’Otto Richard Tannenberg, La plus grande Allemagne [1], l’autre l’exposé de Pierre Alype sur La provocation allemande aux Colonies [2]. Tannenberg est un pangermaniste moins diplomate que le prince de Bülow, mais il n’a rien écrit qui ne s’inspire des mêmes idées, du même fétichisme de la race supérieure, que La Politique allemande de l’ancien chancelier ; tous deux parlent le langage de l’éternelle Allemagne. Or Tannenberg revendique explicitement un vaste empire centre-africain, aux dépens de la France et de la Belgique, un autre dans l’Asie tropicale, une zone d’influence dans la Chine intérieure, sans parler de nouveaux domaines allemands dans l’Amérique méridionale et dans la Turquie d’Asie, « car nous avons avec les Turcs des relations tout à fait amicales ! »

La « provocation » n’avait épargné aucune de nos colonies : elle travaillait les indigènes musulmans de Tunisie et d’Algérie par des Jeunes-Turcs, elle préparait au Maroc, avec l’aide de protégés disséminés dans les villes et les tribus, un second coup d’Agadir ; des fusils étaient entreposés chez des affiliés, Allemands ou indigènes, à la solde de Karl Ficke, résident de Casablanca. Les deux seuls territoires indépendans de l’Afrique, le Libéria et l’Abyssinie étaient des foyers de complots germaniques contre les Puissances coloniales africaines. En Extrême-Orient, le consul allemand de Hongkong, M. Voretsch, s’entourait de révolutionnaires annamites, avec lesquels il préparait

  1. Traduction Millioud, Paris, 1916. L’original a paru en 1911.
  2. Paris, 1915.