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de notre front ; c’est l’effectif de trois forts corps d’armée, sur le pied de guerre. Dans nos « vieilles colonies, » Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion, la loi militaire n’était pas intégralement appliquée au début des hostilités ; elle joue sans réserve depuis avril 1915, et a fait passer sous les drapeaux, des réservistes territoriaux aux « bleuets », environ 140 000 Français créoles, affectés suivant leur âge et leur instruction.

Dans nos colonies tropicales, Afrique et Asie, où les Français d’origine se comptent par unités, une mobilisation intégrale aurait privé, brusquement, nos possessions de presque tous leurs états-majors, économiques et administratifs ; la raison commandait donc d’apporter à la rigueur des principes certains tempéramens : les Journaux Officiels des colonies ont publié les listes nominatives des Français placés « en sursis d’appel ; » le total ne dépasse pas quelques centaines. Rendons ici l’hommage qu’ils méritent non seulement à ceux qui sont partis, mais à ceux qui sont restés : alors que la prudence élémentaire interdit les séjours trop prolongés sous les climats tropicaux, ils sont demeurés à leurs postes, chargés d’un travail plus lourd, bien au delà des limites coutumières ; tous ont, ainsi, fait campagne ; plusieurs sont morts à la peine ; eux aussi, sur le front colonial, ils ont tenu ; en eux, comme en un cadre vivant, s’est incarnée l’énergie française, résistance aux régressions d’une humanité de civilisation récente, direction de l’activité de guerre, semailles pour des moissons qui ne lèveront qu’après la paix.

Ainsi les colonies n’ont pas aggravé les soucis de la France, engagée en Europe dans le plus formidable conflit de l’histoire ; il a suffi, pour les maintenir en ligne, d’un nombre minime de Français, qui ont trouvé un point d’appui solide dans le loyalisme général des indigènes. Le premier service que les colonies aient pu rendre à la métropole, — la première déception qu’elles infligèrent à nos ennemis, c’est d’avoir dispensé la France de s’inquiéter pour elles ; concours négatif, si l’on veut, mais pourtant inestimable, car il fut celui du début et n’a pas tardé à changer de signe. Ce n’est pas qu’on n’ait observé çà et là parfois des mouvemens de mécontentement chez les indigènes, mais, grâce à des concours indigènes aussi, nulle part ces incidens n’ont dégénéré en troubles dangereux ; en les racontant brièvement, nous expliquerons à la fois comment nos adversaires avaient essayé de dresser nos colonies contre