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nous et comment ces manœuvres ont tourné à leur confusion.

En Indochine, des passans étrangers, Chinois pour la plupart, répandaient en août 1914 le bruit des succès allemands, prédisaient la chute de Paris, engageaient les indigènes à se défaire à tout prix de leurs billets de banque français. Des bandes de pirates profitaient de l’inquiétude ambiante pour piller des villages du Tonkin et de la Cochinchine ; d’autres parcouraient le haut pays, aux ordres de déserteurs de nos régimens annamites. A la cour de Hué, autour du très jeune roi Duy-Tan, une agitation suspecte régnait dans quelques cercles du palais ; là l’incertitude se prolongea plus que dans les autres parties de l’Indochine, jusqu’à une fugue, vraiment enfantine, du Roi, au printemps de 1916. Mais cette excitation demeura toute superficielle : Duy-Tan, ainsi que son père, furent déportés à la Réunion et le conseil des ministres annamites désigna dans la famille royale, avec l’agrément du gouvernement général, un nouveau souverain. En revanche, le roi du Cambodge, Sisovat, apporta dès le début à la France un concours personnel des plus empressés et des plus utiles : on le vit parcourir les campagnes, sans aucun apparat, expliquant familièrement aux paysans leurs devoirs de soumission et de collaboration à la lutte que soutient la France. Une même action fut exercée opportunément par le roi de Luang-Prabang dans la région du haut Laos. Ajoutons que dans les deltas à rizières, les notables des communes s’associèrent à l’administration française pour la suppression rapide du brigandage dont ils étaient les premières victimes. Un renforcement des garnisons de la frontière de Chine, quelques démonstrations par des colonnes volantes et, surtout, la bataille de la Marne firent le reste : dès la fin de 1914, des portraits du général Joffre apparaissaient dans une foule de cases, à côté de l’autel des ancêtres.

L’Afrique Occidentale a été le théâtre d’une expérience poussée trop vite, et non sans une réelle imprudence, le recrutement intensif des tirailleurs noirs, dits Sénégalais. Les tribus auxquelles nous nous adressons sont très inégalement apprivoisées, certaines naturellement belliqueuses, d’autres pacifiques jusqu’à la mollesse ; lorsque le recrutement n’est pas lentement progressif, comme avant la guerre, il arrive que des chefs de villages se débarrassent, en les « commandant volontaires, » des vagabonds et des « fortes têtes. »