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dans les nuages que chasse le vent. Tout se colore d’un rouge éclatant auquel succède un mauve qui se transforme insensiblement en vert, puis en bleu ardent. Les claires nuits d’été au contraire sont douces et apaisantes ; les forêts qui couvrent l’Omberg, une montagne dont le pied abrupt baigne dans le lac, ne sont jamais complètement silencieuses ; quand un oiseau a fini de chanter, l’autre commence ; mais tout est calme et adouci. Le ciel passe du bleu ou du vert lumineux, cette teinte n’a pas de nom, au bleu de velours ; les étoiles brillent un moment, puis bientôt elles pâlissent et s’effacent, l’eau du lac s’agite et les lueurs du matin apparaissent.

D’un belvédère construit au-dessus de sa maison, le poète suit toutes les variations du jour et de la nuit sur ce lac auprès duquel il a vécu dans son enfance, où il est revenu après ses longs voyages. C’est là qu’il travaille, en hiver surtout. C’est là que j’ai pu le voir et m’entretenir avec lui. Les deux portiques à colonnes, les petits carreaux, le toit légèrement bombé de l’habitation montrent qu’elle date de la fin du XVIIIe siècle ou des premières années du XIXe. Le vestibule étroit et gai par lequel on pénètre dans la maison est blanc avec, à une certaine hauteur, de ces peintures dont les paysans suédois ornaient autrefois leurs chambres et dont les couleurs, où domine le rouge, sont vives et éclatantes. Au premier, une galerie court du côté de la façade qui donne sur le lac et conduit aux salons. J’admire l’arrangement, les fleurs, les meubles, de beaux tapis rapportés d’Orient ou tissés dans la Suède d’aujourd’hui ; en face d’un grand poêle de faïence, sur des rayons, sont posés des livres que surmonte un buste de Dante.

On me fait remarquer dans la salle à manger qui est au rez-de-chaussée des taches rosâtres sur le mur blanc. Ce sont les traces du vin qui a jailli du verre que Hodger Drachman, le grand lyrique danois, avait coutume, quand il s’asseyait à la table de Heidenstam, de jeter parterre après le repas. Je trouve, le jour où je viens voir l’écrivain, M. Acke, un artiste suédois qui commence son portrait. Mme Acke est la fille du poète de la Finlande, Topelius, qui, lorsque M. de Heidenstam a commencé à écrire des vers, a prévu l’avenir de son talent et lui a donné, avec de précieux conseils, de chaleureux encouragemens. Je parle avec elle d’Auguste Geffroy qui a fait connaître Topelius chez nous par des articles publiés dans la Revue des Deux