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Mondes. Elle ne le sépare pas dans sa pensée de son admirable compagne qui l’avait suivi dans ses voyages de Scandinavie et dont le souvenir est resté cher aux gens de ces pays qui l’ont approchée.

Après déjeuner, nous nous embarquons sur des canots. M. de Heidenstam est assis en face de moi et tient le gouvernail. Tandis qu’il dirige notre esquif sur ces eaux tranquilles, il m’interroge sur le mouvement nationaliste en France et sur M. Maurice Barrès. Grand, large d’épaules, il a plutôt l’air d’un homme de guerre que d’un écrivain ; il est excellent cavalier ; il porte des bottes et une casquette anglaise ; il est habillé avec une élégance naturelle qui n’a rien de recherché. Ses cheveux bruns sont rejetés en arrière ; son profil régulier est fortement dessiné ; il y a dans ses yeux bleus et sur son visage une expression de tristesse qui trahit la sensibilité et fait contraste avec la vigueur de sa personne.

Nous traversons une baie qui sépare Naddö, le promontoire sur lequel s’élève la maison de M. de Heidenstam, de la ville de Vadstena. Nous débarquons au pied du beau château des Vasa dont les quatre grosses tours baignent dans l’eau de ses fossés. Puis M. de Heidenstam me mène à l’ « Eglise bleue, » nommée ainsi à cause de la teinte des pierres avec lesquelles elle est bâtie. Elle a été construite en même temps que le premier couvent de Brigittines dont elle dépend, après le départ de sainte Brigitte pour Rome, où elle devait mourir longtemps après. Elle ne l’a donc pas vue ; mais on montre à l’extérieur de l’église, dans la pierre, cinq petits trous ronds, peu profonds ; ce sont, dit-on, les traces des doigts de la sainte qui, trouvant que l’église n’était pas tout à fait dans la direction qu’elle voulait, est venue la pousser légèrement. A l’intérieur, trop proprement restauré, il y a par terre un grand coffre. M. de Heidenstam se penche, l’ouvre et en tire successivement le crâne de sainte Brigitte et celui de sa fille, sainte Catherine ; il me fait observer comme ce dernier est lisse, sans aspérité ; cela semble bien convenir au caractère harmonieux, bien équilibré de la Santa Katerina. Nous visitons ensuite la ville. Dans le couvent, aujourd’hui asile de fous, nous admirons une statue ancienne, aussi grande que nature, de sainte Brigitte pendant ses révélations.