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déjà un programme littéraire pour la nouvelle génération. Dans son livre Renaissance, il marquait une réaction et voulait déterminer d’une façon consciente les nouveaux courans. Le public était fatigué du naturalisme, qui avait été à la mode pendant les dix années précédentes. Il l’était plus encore en Suède, où rien ne convenait moins que les productions de celle école au tempérament national, qui aime l’éclat, l’enthousiasme, l’imagination. Le naturalisme, déclarait M. de Heidenstam, a pris aux sciences naturelles et sociales le système des fiches et des notes ; il a complètement négligé ce qui appartient à l’âme qu’il a fait entrer dans les catégories scientifiques. « Les idéalistes, écrivait-il en 1888 à Strindberg, ont profondément raison quand ils assurent que la science, avec sa méthode inductive, serre la vie de près, mais n’est pas, encore en état de découvrir autre chose que l’extérieur... La vie de notre âme est pathétique et lyrique... » Hans Alienus, le héros d’un poème paru en 1892, sans patrie, sans foyer dans le monde moderne, se détourne de la science parce qu’elle ne fait point de place à la vie spontanée de l’âme et à ses besoins de beauté. L’imagination est la source de toute vie profonde, le courant ininterrompu d’où sortent les visions, les mélodies, les formes artistiques, les idées. L’imagination personnelle est l’apport de chaque poète, de chaque artiste, de chaque créateur. L’écrivain ne peut donc pas être impassible ; il faut qu’il se donne sans réserve ; cela ne veut pas dire s’étaler ; personne ne s’est moins raconté dans son œuvre que l’auteur de Hans Alienus.

Les nouveaux poètes qui vont venir doivent avoir l’imagination, le sens de la beauté, la fierté, le soleil dans leur âme. Le pessimisme de ceux qui avaient précédé, et que l’on entendait maudire le monde pour des mésaventures qui sont le lot commun des hommes, est ridicule. Il faut jouir de l’heure pré sente sans souci de ce qui peut advenir, aimer l’art et la nature. Plus tard, ce seront d’autres spectacles qui enchanteront M. de Heidenstam ; mais, quel que soit l’objet qui provoque en lui la joie, il s’y abandonne pleinement.

La chose la plus admirable dans la révolution qu’annonçait le jeune poète et qui répondait à un besoin général, c’est qu’elle a été réalisée par de grands écrivains comme Selma Lagerlöf, Gustav Fröding, Oscar Levertin, qui, spontanément et chacun de sa façon particulière, ont appliqué ces principes.