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pour lui le peuple et les socialistes ; d’aucuns parmi les spiritualistes et les chrétiens ont pris aussi son parti ; il leur a paru que, tout fumant de colère, bavant l’insulte et la calomnie, il était cependant plus palpitant de souffrance humaine qu’un adversaire qui, dans son calme et son dédain, avait prétendu disqualifier une manière de voir la vie en lui appliquant le mot de prolétaire. Ces Suédois ajoutaient que, bien qu’il attaquât l’ordre social, il était chrétien dans le fond de son âme, tandis que Heidenstam, quoiqu’il ait glorifié tant de héros chrétiens, était et demeurait un pur païen.


Le poète a mûri, ses forces se sont concentrées et ramassées ; il est revenu dans son pays, « le pays blanc. » Il publie un volume de vers qui porte ce simple titre, Poèmes. Les mots qu’il emploie sont les plus ordinaires ; il en tire les plus riches consonances. Il se sert de la langue suédoise, si bien faite pour la poésie lyrique, en artiste consommé. Il faut renoncer à le traduire ; on ne peut citer des vers pris dans ce livre que comme indication de la pensée d’Heidenstam. Il chante « les heures du matin que tout son être reflète comme une mer ; » il peint les aspects des champs, des bois et des eaux. Il se rappelle avec tendresse la maison paternelle L’homme n’est jamais seul ; il est rempli du souvenir des morts dont la vie se continue en lui.


Ne dis jamais que ceux qui sont vieux — quand ils ferment les yeux, — que ceux dont nous nous séparons, — que ceux que nous abandonnons — perdent tout parfum et toute couleur — comme les fleurs et l’herbe, — que nous arrachons de notre cœur — un nom, comme sur la vitre — tu souffles un grain de poussière. — Ils se dressent aussi grands — que de puissans esprits. — Ils jettent leur ombre sur la terre — et sur toutes les pensées qui, — quelle qu’ait été ta destinée, — chaque nuit retournent à leur foyer — comme des hirondelles au nid. — Un foyer ! C’est la forteresse — que nous élevons avec des murs solides, — notre monde, le seul — que nous construisions dans le monde.


Le petit poème qui termine le livre révèle l’inspiration qui désormais dominera son œuvre. Il est intitulé La Sœur qui dort. Cette sœur bien-aimée que l’on croit morte, c’est la Suède. Ses frères sont prêts à célébrer ses funérailles, tandis que la sœur qui demeure à l’Occident, la Norvège, se dresse dans la