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honnête précaution, n’est-elle point absurde. Et, en tout cas, ce que dit l’auteur des Conjectures n’est pas du tout l’ « ineptie » que l’auteur des Prolégomènes lui attribue. Il y a là, de la part de Wolf, un mauvais procédé, un procédé que M. Victor Bérard qualifie justement : « falsification de textes et faux proprement dits. » Ces mots sont rudes ; Wolf les a mérités. Si, d’ailleurs, on craint que M. Victor Bérard — — Francogallus irrité — passe sur Wolf une colère où la philologie n’est pas le principal, on se trompe. En 1912, un philologue suisse et l’homme qui alors « connaissait le mieux l’histoire d’Homère durant les temps modernes, » M. Ceorg Finsler, publiait en allemand, à Leipzig et Berlin, son Homère dans les temps modernes depuis Dante jusques à Gœthe. Or, les deux propositions que Wolf a citées comme étant de l’abbé d’Aubignac, l’une relative aux chansons du Pont-Neuf et la seconde relative à l’étude des lettres grecques, M. Georg Finsler a eu la conscience de les chercher dans les Conjectures. Il dit de l’une : « Voilà une phrase que je ne puis pas retrouver dans d’Aubignac ; » et de la seconde : « La phrase citée dans les Prolégomènes n’est pas dans les Conjectures : » ces deux phrases qui servent à démontrer que le Français d’Aubignac était un fol ! Faux proprement dits, falsification de textes : c’est bien le nom qu’il faut donner à ce travail de l’éminent professeur boche.


Wolf a effrontément pillé notre abbé d’Aubignac ; et, pour qu’on ne vît pas la fraude, il s’est efforcé de supprimer sa victime. Le très fameux système de Wolf, c’est le système de l’abbé d’Aubignac.

Mais, au bout de cette réclamation, sommes-nous extrêmement fiers de revendiquer pour un savant de chez nous la négation d’Homère ? Il me semble que nous serions tentés de renoncer à un tel honneur, en voyant ce qu’est devenue, pendant le siècle dernier, l’idée de l’abbé d’Aubignac et de Wolf. Dans son charmant volume, savant et clair. Pour mieux connaître Homère, Michel Bréal résume les opinions que les « continuateurs de Wolf » ont énoncées, développées avec entrain. Les uns et les autres admettent comme dogme premier la non-existence d’Homère. C’est la thèse de l’abbé d’Aubignac : « La principale difficulté, qui sera le fondement de ce discours et dont l’éclaircissement servira de règle à tout le reste, est de savoir s’il y eut autrefois un homme particulier nommé Homère, vivant parmi les Grecs anciens, qui ait composé les poésies que nous avons sous son nom, car j’ai bien de la peine à me le persuader. » Alors, faute d’un Homère pour les composer, comment les poèmes homériques