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et nous voici dans la ville haute. La vieille tour Saint-Vannes, vestige de l’ancienne abbaye, est ébréchée et béante. Un chéneau tordu et menaçant qui se détache d’elle presque à angle droit décrit dans l’air un dessin caricatural. Ce que nous avons à nos pieds, c’est bien la désolation de la Jérusalem du prophète. Nous descendons vers la cathédrale qui dresse, comme deux bras supplians, ses deux tours presque intactes ; l’intérieur sert de garde-meuble provisoire : il est encombré de tout un bric-à-brac de pauvres mobiliers sauvés en hâte de maisons en flammes. Nous traversons la minuscule place d’armes, celle-là même où le Kronprinz, qui n’en devait jamais connaître les dimensions, annonçait au début de février que l’Empereur passerait à la fin du mois une revue de fête. Elle est ceinturée de démolitions qui furent des habitations et abritèrent des familles. Partout des façades branlantes, des murs croulans, des tas de décombres où se peuvent reconnaître les restes de ce qui sert aux hommes dans la vie quotidienne, débris d’ustensiles de ménage, de tables, de chaises, de vitres, de vaisselle et même de jouets d’enfans. Çà et là, un toit paraît intact : on pousse une porte, et l’on trouve le vide.

A peine si, de loin en loin, le canon fait entendre sa voix. La journée est comme ouatée de brouillard. Nous avançons dans une solitude muette : et ce fut une ville ! Pas un être vivant, pas même un chien errant. Le silence est le maître de ce désert.

Voici, au coin d’un pont, une sentinelle casquée immobile qui semble garder ce cimetière de maisons. Nous arrivons à la Porte Chaussée dont les mâchicoulis et les deux tours crénelées n’ont reçu que des éclats, comme un beau visage éclaboussé. Nous suivons le fleuve jusqu’au Cercle militaire. C’est de là que la ville offre un spectacle d’ensemble.

Le ciel est si bas que l’on distingue à peine, en se retournant, la ceinture des collines. De la ville haute au fleuve qui roule ses eaux grises, c’est comme une cascade de ruines. Au-dessus des épaves, comme un vaisseau sur la mer, la cathédrale dresse ses deux tours désolées.

Pour exprimer la douleur de Verdun, il faut remonter le cours des siècles et chercher les images des Lamentations : « Comment est-elle assise solitaire, la cité populeuse ! Elle est devenue comme une veuve... Elle pleure amèrement durant la