Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

objectif. Dur objectif : là, chaque pouce de terre représente des vies humaines. Nulle part on ne s’est tant battu. Le ravin des Fontaines, c’est le ravin de la Mort. Le bois Fumin n’a plus un arbre. Le secteur de Vaux, c’est un cercle de l’Enfer. Les soldats de la division de Lardemelle sont des hommes graves qui viennent pour la plupart de pays montagneux, la Savoie, le Dauphiné, le Bugey. L’existence y est sévère. Il n’y a guère parmi eux de jeunes gens aventureux, avides de courir le monde, comme il y en a parmi les zouaves, les marsouins, les tirailleurs. Un coin de sol de France, toujours le même, leur suffit. Puisqu’il faut en reconquérir un autre, ils sont prêts. Mais qu’on ne leur dise pas de phrases : ils sont réfléchis, ils s’expriment peu, ils sentent en dedans. Point n’est besoin de leur adresser des exhortations. Ils feront leur devoir, tout leur devoir, et même au delà, résolument, mais sans vaine gloire et sans éclat. On peut leur demander les plus grands sacrifices : seulement, il est inutile d’y substituer des mirages, car ils voient clair et ils voient de loin. Troupe admirable et facile à mener pour qui la connaît. Le général de Lardemelle est un des plus jeunes divisionnaires de l’armée. Il s’est distingué en Chine à la défense de Tien-Tsin, lors de la révolte des Boxers. Chef d’état-major d’un corps d’armée, puis d’une armée au début de la guerre, il a commandé ensuite une division en Orient. Il revient de Salonique, et Verdun l’a reçu.

Le long du bois à demi dépouillé, dont le soleil d’automne caresse les dernières feuilles d’or et de rouille, les bataillons se suivent dans la direction de Verdun, laissant entre eux des intervalles. Bientôt, ils ne font plus qu’une légère trace bleue, petite fumée surgie du sol de France, d’une couleur semblable à celle qui monte des villages paisibles à l’heure du retour des champs.

Les trois divisions d’attaque vont occuper leurs parallèles ou leurs tranchées de départ.


Les camions automobiles vides attendent au carrefour. Ils doivent emmener jusqu’aux cantonnemens de repos, dans la vallée de l’Ornain ou dans celle de la Saulx au Sud de Bar-le-Duc, au fur et à mesure qu’elles seront relevées, les troupes des deux divisions qui ont été chargées d’aménager le secteur de combat.