Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/366

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Théâtre de Pierre Corneille. Quel pays ! quel peuple ! Les cochers lisent les classiques[1] !

Les commis, dans les bureaux, sont prévenans et empressés : « Il y règne, écrit Reichard, beaucoup d’ordre et d’exactitude et l’on y trouve une politesse bien rare en Allemagne[2]. » Les douaniers sont obligeans, pleins d’attentions ; les employés aux passeports se montrent d’une galanterie parfaite : comme un scribe lève, à la frontière, le signalement de Mme de Boigne, le chef intervient et, du ton de la plus parfaite discrétion, dit à son subordonné : « Mettez jolie comme un ange ; ce sera plus court et ne fatiguera pas tant madame. » Les hommes de peine mêmes sont désintéressés et délicats : la même voyageuse, ravie de l’accueil de tous ces braves gens, glisse deux louis dans la main de l’un d’eux ; il reparait un instant après et, avec la plus grande politesse : « Madame, voici deux louis que vous avez laissés tomber par mégarde[3]. » Ainsi les étrangers, charmés par ces préliminaires enchanteurs, pénètrent-ils en France comme s’ils entraient dans le Paradis : il est bien rare de ne point trouver dans leurs récits trace de l’émotion, du recueillement qu’ils éprouvent à se hasarder dans ce pays de toutes les élégances, de toutes les séductions : il y a, chez quelques-uns, un peu de l’appréhension et de l’embarras d’un rustre qui, conscient de son manque d’usage, s’introduirait dans un salon. Qu’on se rappelle le mot de Goethe, pris d’une sorte de honte de sa nationalité, alors que, dans un magasin de Longwy, intimidé par l’affabilité de la boutiquière, « il se garde bien de marchander et cherche, dit-il, à se montrer aussi poli que peut l’être un Allemand sans tournure. »

Les barrières franchies, c’est bien autre chose ! Un volume ne suffirait pas s’il fallait énumérer seulement les dithyrambiques éloges que notre pays inspira à ses visiteurs. Il est vrai que les Français du vieux temps pratiquaient à miracle l’art d’accueillir et apportaient à l’hospitalité des grâces particulières. Sir John Dean Paul qui a passé le détroit, bien bourré de préjugés contre la France, reste confondu dès le premier soir : comme il est entré au théâtre de Calais et qu’il n’y trouve

  1. Journal du comte Charles de Clary et Aldringen, publié par M. le baron de Mitis et M. le comte de Pimodan, p. 55.
  2. Un Prussien en France1792, p. 316.
  3. De Boigne, I, 209.