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pas de place, « deux messieurs, le voyant avec des dames, quittent aussitôt leur loge et insistent pour la lui laisser ; et cela, note-t-il, avec un tel naturel et une obstination si polie qu’il nous fut impossible de refuser[1], » L’une des compatriotes de Dean Paul, Mme Cradock, se trouvant à Paris, avec son mari, en 1784, conte que, un jour de juin, ils entrèrent pour se rafraîchir dans un café pourvu d’un excellent orchestre : « On n’eut pas plutôt deviné que nous étions Anglais que les musiciens attaquèrent le God save the King. » Quelques jours plus tard, à la foire Saint-Laurent, même hommage leur fut rendu, et toute l’assistance, « composée de petits bourgeois et de grands seigneurs, » approuva par ses applaudissemens cette attention.

Il faut reconnaître qu’il était bien autrement facile et intéressant de visiter Paris à cette époque-là que de nos jours. Sans parler, bien entendu, des restrictions imposées par la période de guerre, nous nous heurtons, en temps ordinaire, à tant de consignes, de défenses, de portes systématiquement closes, d’autorisations à solliciter, que les Parisiens eux-mêmes se sont résignés et passent journellement à côté de merveilles qui leur appartiennent, sans même en soupçonner l’existence. Combien peu connaissent, par exemple, le superbe escalier d’honneur et certains salons du Palais-Royal : combien savent que, à la Banque de France, se trouve une galerie qui est, peut-être, le chef-d’œuvre de notre art décoratif ? Et imaginez-vous la façon dont serait reçu un touriste qui sonnerait au portail d’un des beaux hôtels des quartiers neufs en se disant désireux de visiter l’immeuble, ou qui se présenterait, sans lettre d’introduction, au palais de l’Elysée pour en parcourir, en curieux, les salons et voir les œuvres d’art dont ils sont ornés ? Une telle extravagance conduirait son auteur, sinon à Charenton, du moins au poste de police, et, de là, au dépôt de la Préfecture, monument beaucoup plus libéralement accessible que les habitations des riches collectionneurs, encore qu’il n’offre pas le même genre d’intérêt.

Dans le Paris d’avant 1789 tout était au large ouvert. Les grands seigneurs, les savans, possesseurs de galeries de tableaux ou de cabinets de curiosités, en permettaient l’accès à tous les curieux d’art et de science. Il existe un Guide des amateurs et des étrangers voyageurs à Paris[2], imprimé en 1787, où sont

  1. Journal d’un Voyage à Paris, traduit et annoté par P. Lacombe.
  2. Par Thiery, 2 vol, in-16.