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sont si nombreux qu’on n’est embarrassé que du choix des citations : l’un des plus frappans est celui de trois étudians de Nancy qui, venus à pied, en mai 1787, de la Lorraine à Paris où ils n’ont aucune relation, pénètrent avec une facilité, — bien étonnante pour nous, — dans les palais des princes, aussi bien que dans les prisons d’État : une gardienne de la Salpêtrière, après leur avoir montré tous les quartiers de l’immense hospice, les conduit, moyennant un supplément de pourboire, à la cellule où est détenue Mme de la Motte, l’héroïne de l’affaire du Collier ; ils s’y attardent et causent avec elle, tandis qu’elle « parfîle, » — tout en songeant, bien certainement, à l’évasion qu’elle réalisera quelques jours plus tard. Les jeunes Nancéiens vont ainsi, en toute liberté, chez Mme Dubarry, à Louveciennes, chez le comte d’Artois, à Bagatelle, où on les introduit jusque dans la chambre à coucher, au Palais-Bourbon qu’habite le prince de Condé et comme, après qu’ils en ont parcouru toutes les galeries, le concierge qui les pilote leur conseille d’écrire à Son Altesse pour obtenir l’entrée des petits appartemens privés, ils ne s’en font point faute et reçoivent à leur adresse un mot du prince qui accorde l’autorisation. À Chantilly, on les promène partout, dans le château, à la ménagerie, aux écuries, à l’Ile d’amour, au hameau, aux étangs, à l’orangerie, au pavillon chinois ; quand ils sont sur le point de quitter ce lieu de délices, un officier de Son Altesse leur propose « avec beaucoup d’honnêteté » de profiter d’une des voitures du prince, lequel part à l’instant pour Paris ; et les touristes voyagent, au retour, en compagnie de deux dames de la Cour, dans un carrosse à la livrée de Condé[1].

À Versailles, nos étudians assistent à la procession des Cordons bleus et à la messe du Roi. On circule dans le château comme au marché ; tout est ouvert au premier venu, sous la seule condition de se munir d’une épée : on la loue, pour quelques sous, chez un concierge ; encore est-il avec cette consigne des accommodemens, témoin ce clergyman qui, après avoir flâné dans les appartemens et dans la galerie, après avoir croisé le Roi, la Reine, les princes, se met en tête, malgré le négligé de son costume, de ne point quitter la place sans voir le diner de Sa Majesté. Un maître des cérémonies survient et

  1. La Vie parisienne sous Louis XVI, d’après le manuscrit de François Cognel, passim.