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Chez les bourgeois campagnards, davantage isolés, l’existence est, il est vrai, plus austère et moins mouvementée, mais si remplie, si régulière, si « harmonieuse, » qu’elle reste attrayante en dépit de sa sévérité. Notre témoin, ici, est du Périgord : devenu vieux, — et Parisien, — il se souvenait avec attendrissement de la grande demeure paternelle, située à Saint-Germain-du-Salembre, en pleine campagne, à cinq bonnes lieues de Périgueux. C’est une sorte de manoir, commode et confortable : les salles sont vastes, meublées d’armoires énormes, aussi vieilles que les murs de la maison et dont les lourds panneaux sont ornés de personnages ou d’emblèmes sculptés à même le chêne ou le noyer. Les lits, drapés d’amples rideaux de serge, portent, sur quatre colonnes robustes, un dais capitonné de soie ; trois ou quatre dormeurs peuvent, dans chacun d’eux, tenir à l’aise ; et ces proportions se justifient par le nombre des enfans, les familles les moins pourvues en comptant six ou huit. Les murs des chambres à coucher sont tendus de perse ou d’indienne, ou simplement blanchis à la chaux. La cuisine est la pièce principale : une haute et profonde cheminée où pend, au bout de la crémaillère, une grosse marmite sur un feu de troncs d’arbres ; de chaque côté de l’âtre, un banc pour les serviteurs ; un morceau de vieux tapis, près du foyer, pour le chien du tourne-broche ; au-dessus de la tablette, sur laquelle s’alignent les pots à épices, sont accrochés les fusils, les hallebardes, tout l’arsenal de la maison. Un vaisselier, surmonté d’un dressoir, expose des pots et des plats d’étain, brillans comme l’orfèvrerie des châteaux. Deux grandes tables : l’une pour les repas des maîtres, l’autre pour ceux des domestiques, métayers et journaliers ; on mange en même temps, patrons et gens de service, et « Monsieur » ne manque jamais d’envoyer un morceau de choix, un verre de vin, à quelque serviteur qu’il désire honorer ; il trinque cordialement avec tous. La veillée se passe en commun : les maîtres lisent, ou mettent leurs comptes au courant ; les « domestiques « pèlent » les châtaignes pour le lendemain ; les servantes, le relavage terminé, prennent leurs quenouilles et filent la laine ou le chanvre ; à dix heures, au plus tard, l’un des enfans dit, à haute voix, la prière ; on couvre le feu ; on distribue les chandelles et l’on va se coucher.

Le jour suivant sera pareil : jamais une heure d’oisiveté ;