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royaux, des récits de voyage, les Fables de La Fontaine, un Gresset ; pas un roman, mais des auteurs latins, beaucoup d’auteurs latins ; un Martial, un Ovide, un Lucain, un Horace surtout ; Horace était la passion de nos aïeux… Nous ne trouverons là rien à notre goût ; rien qui puisse nous aider à nous désennuyer une heure. Eh quoi ! Ils aimaient ça, ces vieux ? Quand ils avaient, tout le jour, arpenté leurs champs ou leurs vignes, compté avec les fermiers, reçu les cliens, surveillé la grange et le pressoir, ils ne se réservaient, pour la soirée, d’autre amusement que de repasser leurs classiques ? Eh ! oui. C’était leur marotte à tous : ils étaient férus du bien dire et de l’antiquité, et c’est ce qui nous valut, lors de la révolution, quand ces bourgeois lettrés se transformèrent en législateurs, tant de Brutus et de Cassius, tant de harangues imitées de Tite-Live, tant de traits copiés des anciens, si bien que l’un d’eux, frais émoulu du collège, projetait d’appliquer les lois de Minos comme constitution à l’usage des Français régénérés. Travers regrettable, sans doute, dans lequel nous ne risquons pas de tomber : nos engouemens se portent à des objets moins austères et nous ferons bien de veiller à ce qu’on ne dépose au grenier, ni notre vieux linge, ni les résidus de nos bibliothèques : nos chemises, réduites en loques par la brosse et les acides, inspireraient aux âges futurs une triste idée de la conscience de nos blanchisseuses, et nos livres, peut-être, une piètre idée de nos préférences littéraires et du sérieux de nos délassemens.


Ces campagnards solitaires du XVIIIe siècle connaissaient, d’ailleurs, d’autres plaisirs que la lecture des auteurs anciens : en Périgord, le moindre événement leur était prétexte à réjouissance : au manoir bourgeois de Saint-Germain-du-Salembre, on recevait les voisins plusieurs fois par an ; comme ils invitaient à leur tour, il s’ensuivait deux ou trois réunions par mois. On mettait en réquisition les cuisines et les cuisinières du voisinage : les dîners étaient formidables et les appétits homériques ; on trouvait là, surtout, une occasion de danser. Il y en avait d’autres : on dansait au Carnaval, aux fêtes votives ; on dansait à la fauchaison. aux semailles, aux vendanges ; en novembre, on se groupait pour « énoiser, » et on dansait encore : dames de châteaux, « demoiselles, » messieurs, paysans, paysannes, maîtres, domestiques, tous dansaient ensemble, sans distinction