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de rang ni de naissance[1]. Quand on ne pouvait plus danser, on chantait, et il en était ainsi du Nord au Midi, de la Saintonge à la Franche-Comté. La gaîté du Français, quoique proverbiale, demeurait pour les étrangers un sujet d’admiratif ébahissement. Il semble que ce soit là un don particulier, une sorte de monopole, tant notre peuple se distingue par cette exubérance joyeuse de toutes les autres nations de la terre. Sur ce point les témoignages, — sauf deux exceptions : celui de Young et celui de l’Allemand Storch, — sont d’accord ; phénomène quasi unique ou, pour le moins, extrêmement rare. — « Heureux peuple ! » s’écrie Sterne. — « Les villageois sont pleins de vie et de gaité, » nous dit Stevens qui visite la Provence. — « Tous les gens paraissent heureux, » note Rigby en traversant la Flandre[2]. Celui-ci est particulièrement intéressant à suivre, car, avant d’aborder le continent, il se figurait les Français « frivoles et nuls, d’un extérieur chétif, et vivant dans une misérable condition causée par l’oppression de leurs maîtres. » Quelle surprise ! Les premiers indigènes qu’il aperçoit, au moment du débarquement, sont les matelots du bateau-pilote sorti du port de Calais : ils sont « énergiques et joyeux. » En ville, le premier soir, il s’étonne de la quantité de promeneurs, « tous gais et expansifs. » Après un jour de route, il s’extasie : « les femmes sont robustes et bien faites ; de petits groupes d’amis sont assis sur le devant des portes ; quelques hommes fument, d’autres jouent aux cartes… » À Lille, les soldats, grands, bien découplés, qu’on rencontre dans les rues « sont d’une gaîté et d’une politesse particulièrement agréables. » Les habitans jouissent de leur dimanche « d’une façon joyeuse et animée. » À Cambrai, même constatation : « tout ce que nous voyons porte la marque d’un travail industrieux et d’un joyeux entrain. » Les femmes de Roye émerveillent le voyageur : « elles sont d’une beauté vraiment remarquable et presque toutes pourraient être des objets d’admiration. Leur vêtement est d’une simplicité charmante : elles sont bien coiffées et elles ont le sourire aux lèvres. » Heureux, gaîté, joyeux, bonheur, ces mots reviennent à chaque page. Déjà, cinquante ans auparavant, lady Montague avait écrit : « Les villages sont peuplés de paysans forts et joufflus, vêtus de bons habits et de linge propre : on ne peut imaginer

  1. Souvenirs d’un médecin de Paris, 10.
  2. Voyage d’un Anglais en France.