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peuple, autour d’eux, cria d’enthousiasme, pleura de bonheur ; « tout le bois retentit d’acclamations. » On juge d’après cela quelle importance prenaient pour ce bon peuple, si sensible, les « événemens de famille, » tels que la naissance d’un dauphin. Notre époque ne peut imaginer quelle était l’angoisse dans la France entière, dès les prémices de la nouvelle : lorsqu’elle était connue enfin, « toutes les têtes tournaient » de folie ; l’allégresse se manifestait en transports aussi sincères que bruyans, dans les cafés, dans les spectacles, dans les faubourgs populeux, chez les plus pauvres. On s’abordait dans la rue entre inconnus, on se jetait dans les bras du premier venu ; ceux qui étaient admis au bonheur de contempler l’enfant royal tremblaient d’émotion et sanglotaient de joie. En 1781, le duc de Croy consigne dans son Journal : « On me conduisit chez le Dauphin qui me fit de jolies mines ; les larmes m’en vinrent aux yeux ; l’ancienne gouvernante que j’avais vue, celle du grand-père, m’en sauta au col. La scène fut fort touchante. » Telle était la note. Et il n’y avait pas seulement des ducs à la faire entendre. Tout Paris défila à Versailles ; les corps de métiers vinrent tous rendre hommage au nouveau-né : le cortège fut d’une ingéniosité touchante : les ramoneurs « aussi bien vêtus que ceux qui paraissent sur le théâtre, » traînaient une cheminée en haut de laquelle était juché un de leurs plus petits compagnons ; les porteurs de chaises en avaient une très dorée où se voyait une plantureuse nourrice et un gros poupon ; les serruriers, frappant sur une enclume, forgeaient une couronne ; les cordonniers achevaient une petite paire de bottes pour le dauphin au berceau ; les tailleurs mettaient la dernière main à un minuscule uniforme aux couleurs de son régiment. Les fossoyeurs eux-mêmes… Mais on s’aperçut à temps de leur présence et on les dirigea vers les communs du palais, tandis que les autres corporations défilaient sur la terrasse. Les dames de la Halle, elles, vêtues de robes de soie noire et, pour le plus grand nombre, parées de diamans, furent reçues selon le cérémonial accordé à leur clas.se ; elles dînèrent dans les appartemens royaux ; on les introduisit dans la chambre de la Reine, où se trouvait Louis XVI, à qui l’une d’elles chanta des couplets :


Ne craignez pas, cher papa,
D’voir augmenter votre famille,