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d’outre-Rhin, qui s’installaient partout à nos côtés, voire à nos places, et ramenaient peu à peu le ton de notre insouciante délicatesse au diapason de leur audacieuse grossièreté.

C’est de cet insensible bouleversement qu’est né le snobisme, un travers si peu de chez nous qu’il a fallu, pour le désigner, enrichir notre langue d’un terme étranger, lequel exprime, au dire d’un philosophe, « la béatitude éprouvée par certaines gens en se sentant transplantés de leur milieu naturel dans un milieu plus en évidence. » C’étaient là amusemens mesquins d’avant-guerre : nous avons mieux à faire, désormais ; et puisque nous devons, d’un même cœur, travailler à rendre au plus vite à notre pays son antique auréole de grâce et de séduction, et contribuer à acquitter le montant de la victoire, nous n’avons qu’à méditer ce mot du sage Franklin : « Les impôts que lève l’État sont toujours supportables ; mais les taxes de la mode et de la vanité sont exorbitantes ; » sur quoi nous redeviendrons nous-mêmes et connaîtrons, à notre tour, « la douceur de vivre. » Qu’on ne cherche point, surtout, dans cette rêverie d’un oisif, vaine et inutile comme toutes les rêveries, — à peine excusable en ce temps d’action, — la moindre velléité de dénigrer la France moderne : se plaire, aux heures de loisir, à la fréquentation de celle de jadis n’exclut pas l’admiration qui est due à celle d’aujourd’hui. Et comment pourrait-on ne pas vénérer et chérir une mère dont les enfans étonnent le monde par leur abnégation filiale, leur sublime endurance, leur héroïsme, et qui, depuis trois ans, tracent, chaque jour, de leur sang, les pages d’une épopée qui fera l’émerveillement de l’histoire ?


G. LENOTRE.