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les millions russes. Le cri : « Allons en Transylvanie ! » (Wir wollen nack Siebenbürgen !) est à l’ordre du jour... Bratiano est toujours abattu et angoissé. Le Roi demeure le seul frein qui puisse encore fonctionner sur cette pente glissante. Patientons et laissons crier les braillards. Du jour où nous aurons le premier succès attendu sur les Russes, tout rentrera ici dans le silence.


A Vienne, on aurait voulu que le comte Czernin obtînt le transit du matériel de guerre autrichien envoyé en Turquie. M. Bratiano répondit à cette ouverture par un refus absolu, déclarant la chose impossible : « il y aurait, disait-il, une explosion de colère dans le pays qui veut la guerre contre l’Autriche. » Le comte Czernin se récria, trouvant « cette manière de voir incompatible avec une neutralité bienveillante, et encore plus avec les devoirs d’un allié. »

Cependant, des manifestations de plus en plus significatives se produisaient « dans la rue, dans la presse et dans l’armée : » des milliers de personnes, appartenant à toutes les classes de la société parcouraient les rues de Bucarest en réclamant l’entrée en campagne et « l’envahissement de la Transylvanie, » séduisant mirage à l’obsession duquel les Roumains devaient succomber deux ans plus tard. L’écho de ces manifestations parvenait au chevet du Roi mourant qui, au fond de son lit d’agonie, était torturé par la vision anticipée de son neveu, — un Hohenzollern ! — tirant l’épée contre l’Allemagne. Vision tragique ! La dernière fois que le comte Czernin put l’aborder, Carol lui dit en pleurant : « Je ne souhaite plus que de mourir pour faire une fin. »


La crainte de devoir manquer à sa parole, d’être amené à une félonie sans exemple dans l’histoire, de se déshonorer, on un mot, lui était si odieuse qu’il paraissait littéralement effondré. Et le vieillard reste seul. Votre Excellence connaît le ministère roumain et sait quel jeu il joue. L’entourage le plus proche du Roi est une gêne pour lui et non une aide [1].


Le 23 septembre, le Roi étant trop malade pour le recevoir, le comte Czernin eut une audience du Prince royal :

Il est singulièrement difficile de donner un compte rendu exact

  1. Lettre du comte Czernin, Sinaïa, 9 octobre 1914, veille de la mort du roi Carol.