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aggravée. À ce moment même (commencement de novembre 1914), on apprit que l’armée autrichienne avait battu en retraite devant les Russes : le parti de la guerre en profitait pour pousser de nouveau à l’entrée en campagne : « On croit ici à la victoire de la Russie, écrivait le chargé d’affaires autrichien. Une crainte hystérique (hysterische Angst) d’arriver trop tard pour le partage de la Monarchie domine de nouveau chez nos « fidèles » alliés, et nos ennemis en profitent. Depuis la mort du roi Carol, on ne distingue plus ici que deux groupes compacts : les uns disent le moment venu de nous tomber sur le dos ; les autres, nos « amis, » estiment que la situation n’est pas encore mûre : il faut attendre que nous soyons vraiment battus. Je range dans cette catégorie le couple royal et le président du Conseil. » Celui-ci s’excusait de son mieux auprès du comte Czernin en disant que, « pour se maintenir, il devait faire semblant de hurler avec les loups. »

La saison était déjà avancée et la perspective d’une campagne d’hiver calmait l’ardeur des plus belliqueux qui, dans leur impatience, « avaient été sur le point de renverser le Cabinet Bratiano. » Cependant, le diplomate autrichien sentait bien que cette situation ne pouvait se prolonger longtemps. Si le nouveau Roi évitait de lui parler, beaucoup de personnages politiques se montraient moins réservés et le comte Czernin sentait monter de toutes parts les sympathies pour la France ainsi qu’une « haine passionnée » contre les Empires centraux. Ces sentimens se manifestèrent plus ouvertement encore quand, au printemps de 1915, l’Italie se rangea résolument aux côtés de l’Entente. Malheureusement, à la même époque, on apprit l’avance des armées germaniques en Galicie. Le comte Czernin en profita pour agir sur M. Bratiano en lui montrant « l’Autriche et l’Allemagne plus fortes que jamais : On pourra donc, lui disait-il, nous rendre la victoire difficile ; on ne peut plus nous l’arracher. » Le baron Burian, qui venait de succéder au comte Berchtold au Ballplatz, chargea le comte Czernin de faire comprendre à Bucarest que ce serait folie de se mettre du côté des Russes, car même la victoire, s’ils pouvaient jamais l’obtenir, leur donnerait la suprématie dans les Balkans : ce serait la mort de la Roumanie. Mais, après les lourdes défaites que les Russes venaient d’éprouver en Galicie, la Roumanie ne pouvait plus rester neutre ; elle devait apporter son concours armé à l’Autriche.