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C’est ce que le comte Czernin tâcha de faire entendre lors d’une longue audience qu’il obtint du roi Ferdinand le 26 mai et dans laquelle il eut soin d’insister sur la perfidie italienne. Le Roi évita de contredire son interlocuteur : il répéta plusieurs fois qu’il ferait tout son possible pour rester neutre, mais en ajoutant que « les souverains constitutionnels ne sont pas les maîtres ; » il ne cacha pas que, si les Autrichiens étaient battus, sa position deviendrait intenable : « La tempête emporterait la dynastie. »

Il y avait à ce moment (26 juin 1915), au dire du comte Czernin, quatre partis politiques à Bucarest : 1° le parti libéral ; 2° le parti Marghiloman ; 3° le groupe Lahovary ; et 4° les Takistes (partisans de Take Jonesco), mais « les numéros 3 et 4 venaient de s’entendre pour l’entrée en action avec la Quadruplice. »

Plusieurs mois se passèrent en discussions au sujet des troupes que la Roumanie avait massées sur ses frontières du côté de l’Autriche. Chaque fois que le comte Czernin pressait M. Bratiano ou le Roi lui-même de rappeler ces troupes, il se heurtait à quelque réponse dilatoire : ou bien ses interlocuteurs alléguaient que, l’Autriche-Hongrie ayant fermé ses frontières à la Roumanie, il était naturel que celle-ci prît des mesures de précaution nécessaires en présence d’une attitude aussi hostile, ou bien l’Autriche ayant levé ces prohibitions, le gouvernement roumain prétextait qu’il ne pouvait rappeler brusquement les régimens sans provoquer une forte émotion dans le pays, ce qu’il fallait éviter. Enfin, le Roi ordonne de ramener les troupes à 10 kilomètres en arrière, mais le comte Czernin apprend bientôt que cet « ordre formel » n’a pas été exécuté et il écrit assez ironiquement au Roi « pour l’informer que ses généraux ignorent les ordres donnés par Sa Majesté (14 septembre 1915). » Tout semble indiquer, à cette date, que la Roumanie est sur le point de mobiliser. Le comte Czernin va donc trouver le président du Conseil pour l’avertir « non à titre officiel, mais en ami, » que la Roumanie se mettrait dans un mauvais cas si elle prenait ce parti, car elle n’est pas dans la même situation que la Grèce. Vienne et Berlin seraient obligées de lui demander des explications. M. Bratiano fait alors observer que la Roumanie est le seul Etat des Balkans qui n’ait pas mobilisé : elle est pourtant bien en droit de se défendre comme les autres !