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incendiait l’Europe depuis près de deux ans étant fatalement destinée à « finir en queue de poisson (sic), » la Roumanie devait se féliciter de ne pas être entrée dans la lutte et qu’elle avait tout intérêt à continuer à attendre les événemens jusqu’au jour, — si jamais cela devait arriver, — où la victoire se dessinerait nettement dans l’un des deux camps.


L’Europe, disait-il, est dans un état de fièvre qui lui ôte le jugement. Quant à moi, j’ai gardé mon sang-froid et je n’ai qu’à m’applaudir d’avoir résisté aux conseils de ceux qui voulaient nous entraîner dans la guerre, d’un côté ou de l’autre. Où en serions-nous aujourd’hui ?... Peut-être la situation sera-t-elle complètement changée dans six mois et me verrai-je alors obligé de prendre d’autres résolutions. Pour le moment, tandis que les Grandes Puissances s’épuisent dans une lutte sans précédent dans l’histoire, la Roumanie fait de très bonnes affaires et, sauf quelques têtes exaltées, personne ne se plaint plus dans le pays.


Le comte Czernin déclare qu’il fut suffoqué de la « franchise cynique » avec laquelle M. Bratiano lui donna à entendre que la Roumanie se tournerait contre l’Autriche, son alliée, si celle-ci était battue ; au cas improbable où la guerre aboutirait à un résultat, il croyait bien plutôt à l’écrasement de l’Autriche-Hongrie qu’à celui de la Russie. « J’ai cherché, écrivait le comte Czernin, à combattre ses idées au point de vue moral comme au point de vue rationnel : une guerre sans résultat, lui ai-je dit, est aussi inadmissible pour nous qu’une défaite ; et l’hypothèse d’une coopération de votre part, après que nous aurons obtenu la victoire, est une utopie. »

Cependant le succès de l’offensive russe, qui venait de se produire à ce moment en Galicie, exaltait vivement les esprits, et le comte Czernin, toujours bien informé, écrivait le 25 juin à son chef avoir appris de très bonne source qu’au dernier Conseil les ministres avaient agité la question d’abandonner la neutralité pour s’allier à l’Entente. Il sollicita aussitôt une audience du Roi, et conclut, de l’air embarrassé, des réponses évasives du souverain, que, si rien n’était encore décidé, la Roumanie n’en négociait pas moins « de façon intensive » avec les Puissances de l’Entente et se déciderait vite à entrer en campagne pour peu que les Russes continuassent leur avance en Galicie ; de grandes commandes de munitions avaient été