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Pendant ce temps, la famine s’annonçait menaçante. Non que la Russie manquât des alimens nécessaires à sa subsistance, mais l’impéritie gouvernementale, le système de la vziatka (pots-de-vin) arrivé à son apogée, l’avidité insatiable des accapareurs et de probables connivences avec l’ennemi, entravaient le ravitaillement. Par des froids qui atteignirent 32° degrés Réaumur au-dessous de zéro, les femmes du peuple, les petites bourgeoises, les domestiques des grandes maisons faisaient la queue, de trois heures après minuit à neuf heures du matin, à la porte des boulangeries ou des magasins de sucre et de thé. Les dernières venues s’en retournaient les mains vides. Malgré leurs salaires, très élevés depuis la guerre, il n’était pas rare qu’en rentrant chez eux les ouvriers se trouvassent sans pain. Les denrées les plus indispensables atteignaient des prix exorbitans. La petite mesure courante de pommes de terre qui, avant la guerre, se payait 15 kopeks (0 fr. 35) était vendue 1 rouble 20 k (2 fr. 10), le beurre 3 r. 20 le fount, soit 16 francs le kilo. Même hausse exorbitante des prix dans les articles d’habillement. Les bottes, si indispensables dans ces pays de neiges profondes, coûtaient de 50 à 100 roubles (100 à 200 fr.), les bottines de femme de 60 à 120, les souliers des femmes du peuple de 25 à 35 ; le prix des pymi (bottes de feutre que portent les paysans) avait triplé. Et ainsi de tout. Le bois de chauffage manquait, et cela dans un pays qui est le plus riche de l’Europe en forêts après la Suède. Des gens mouraient de froid dans leur chambre sans feu. Même dans des maisons d’un loyer annuel de 2 500 ou 3 000 roubles, le thermomètre, pendant les grands froids, marquait de 5 à 8 degrés seulement. La vie devenait de plus en plus intolérable chaque jour.


Pour ces raisons et d’autres encore, le gouvernement était haï et le mécontentement contre l’Empereur, qui conservait de tels hommes au pouvoir, commençait à sourdre. Chaque ministère semblait prendre à tâche d’aggraver la situation créée par son prédécesseur. A l’incapable Gorémykine, dont l’insuffisance rendit possible un Miassayédoff et un Soukhomlinoff, avait succédé le germanophile Sturmer, qui faillit réussir à conclure une paix séparée avec l’Allemagne. Protopopoff, le dernier de cette sinistre trilogie, en fut peut-être le pire. Ancien