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vice-président de la Douma, traître à son parti, suppôt de Raspoutine, il est aujourd’hui accusé d’avoir préparé la révolution, afin d’en profiter pour obliger la Russie à signer une paix séparée. Dans ce dessein, il s’adjugea, comme président du Conseil, le portefeuille de l’Intérieur. Abandonnant la direction des affaires générales à ses deux acolytes, Bilietsky, ancien chef de police, vilainement compromis, il y a quelques mois, dans le complot du moine Héliodore, et Koorloff un des assassins de l’ancien ministre Stolypine, il s’adonna tout entier à l’organisation de la police. En quelques mois, elle fut presque doublée. On la munit de mitrailleuses dont un certain nombre furent, par avance, disposées sur le toit des maisons situées à l’angle des rues et sur celui des édifices publics. Au moyen de ses agens provocateurs Protopopoff, pensait faire éclater la révolution le 14 février, jour de la convocation de la Douma. Il en aurait pris prétexte pour faire signer à l’Empereur la prorogation de cette Assemblée. Le peuple ne se laissa pas prendre à cette manœuvre. La journée du 14 s’écoula dans le plus grand calme. Lorsque la Révolution éclata, le gouvernement ne l’attendait plus.

Malheureusement, l’Empereur s’était solidarisé avec son ministre. Il a été la victime de son aveuglement. Lorsqu’on se reporte par la pensée à l’accueil enthousiaste que lui fit la Douma, le 12 février 1916, on se dit qu’il eût fallu bien peu pour qu’il fut adoré. Les avertissemens non plus ne lui ont pas manqué. M. Rodzianko, président de la Douma, l’homme qui aura le plus aimé l’Empereur tout en restant fidèle à la cause du peuple, multiplia les avis. Toujours il fut repoussé. L’assassinat de Raspoutine, chez le prince Youssoupof, qui trouva des approbateurs jusque dans la famille impériale, prouvait assez que le mécontentement avait gagné toutes les classes. Le bruit courait d’une révolution de palais prochaine. La noblesse obligerait le souverain à abdiquer en faveur de son fils. J’étais alors à l’hôpital du Grand Palais. Je venais d’y être opérée sur les ordres bienveillans de l’Impératrice. Ma convalescence s’achevait. A la veille de retourner à Pétrograd, j’allai rendre visite à l’une des dames d’honneur du Palais. En termes discrets, mais suffisamment clairs, et en généralisant à dessein, cette femme d’une haute intelligence et d’un grand cœur me laissa deviner le terrible conflit qui se livrait dans