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son âme. Prévoyant les événemens et attachée de par tout son passé à la personne des souverains, elle déplorait que « ceux qui sont placés sur les plus hautes cimes du pouvoir n’admissent pas la nécessité de marcher avec leur temps. »

Celle-là aussi, j’en suis sûre, a fait noblement entendre jusqu’à la dernière heure la voix de la vérité.

Quelques jours avant la Révolution, le grand-duc Alexandre Mikhaïlovitch, marié à une sœur du Tsar, se rendit chez son beau-frère et lui exposa la situation sous les couleurs les plus sombres. Même le mot d’ « abdication » fut, parait-il, prononcé.

— Et mon devoir ? qu’en fais-tu ? aurait répondu l’Empereur.

Comme le grand-duc insistait, montrant la révolution imminente, l’Empereur prit sa tête à deux mains et pleura.

Larmes de Boabdil ! Manifestation éternelle des faibles ! Toute la conduite du Tsar s’explique par ces larmes.


Dans le désarroi universel, la « société » seule travaillait activement et avec méthode. Il faut savoir que ce terme de « société, « d’un usage courant parmi les Russes, désignait, hier encore, l’ensemble des élémens éclairés du pays, prenant un intérêt actif à sa vie politique et sociale. C’étaient des hommes ayant su garder leur liberté d’esprit et leur indépendance, par quoi ils tranchaient sur les familiers de l’administration et de la bureaucratie ; des individus éclairés, — intellectuels pour la plupart, — sachant se faire de l’état des choses une idée puisée à même la réalité. En même temps que les habitudes que l’on contracte par la pratique d’un service actif dans les domaines se rattachant à la vie publique, ces hommes avaient acquis le vif sentiment de responsabilité politique qui s’en dégage. Cette « société » était composée d’élémens tels que la Douma, les Zemtsvos, les rudimens d’organisation municipale, les Universités et les professions libérales. Depuis la guerre et sous l’implacable pression des événemens, une évolution s’était produite dans la manière de voir de beaucoup d’hommes, jadis exclusivement attachés à la monarchie et qui s’étaient ralliés à la « société. » C’est la « société » qui, après la terrible révélation qui suivit la chute du ministre Soukhomlinoff, fit appel au peuple russe et organisa les usines et le ravitaillement. Son activité féconde s’étendit à tout. Elle appela à