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tirent les unes sur les autres. Il est nécessaire de confier la tâche de former un nouveau gouvernement à un homme jouissant de la confiance du pays. Urgent d’agir. Tout retard est pareil à la mort. Je demande à Dieu que la responsabilité de cette heure ne retombe pas sur le Porte-couronne.

« RODZIANKO. »


En même temps, le président de la Douma expédiait ce télégramme à tous les chefs d’armée, en les priant de soutenir sa demande auprès du Tsar.


Je suis invitée à déjeuner chez des amis à la Kamenny-Ostrowski, de l’autre côté de la Neva. Impossible de traverser les ponts. Il faut retourner en arrière ou passer la Neva sur la glace, ce que beaucoup de personnes font, malgré les barrages qu’on y a établis. On entend dans le lointain le tir des mitrailleuses. Les isvostchiks sont rares et ne marchent qu’à prix d’or. Le temps continue à être doux, sans dégel. Le peuple paraît déjà plus agité. Des soldats passent avec la baïonnette au canon.

Notre quartier, où je me hâte de revenir, reste calme. Le théâtre de Marie, très voisin de chez nous, affiche pour ce soir un ballet : La Source. Le lieutenant X... et sa femme, qui ont des billets pour cette représentation, décident d’y assister. Nous essayons en vain de les retenir.

Pendant leur absence, nous préparons les lampes, nous remplissons d’eau tous les récipiens disponibles, dans la prévision que bientôt l’électricité et les conduites d’eau seront coupées.

Tard dans la soirée, coup de téléphone. C’est mon secrétaire qui, pendant tout le temps qu’il ne passe pas auprès de moi, ne cesse de courir la ville et me tient, presque heure par heure, au courant des événemens. Les désordres graves ont commencé. Les mitrailleuses balaient les rues. La surexcitation croît de minute en minute. Le peuple réclame la déchéance de l’Empereur. Les Cosaques sympathisent de plus en plus avec la foule. « Nous avons, disent-ils, à nous faire pardonner 1905 ! »

Plusieurs régimens dont le loyalisme est douteux ont été consignés dans leurs casernes.

M. Rodzianko a envoyé un second télégramme au Tsar :