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Les cols de fourrure sont remontés jusqu’aux oreilles, la respiration pend en glaçons sur les barbes, les moufles emprisonnent les mains. Cela nous fait espérer plus de tranquillité pour aujourd’hui. Des soldats passent, transportant de grands sacs de pain sur l’épaule. Et voici qu’arrivent les traîneaux qui vont emporter la neige déjà amoncelée en trapèzes le long des trottoirs par une équipe de travailleurs matineux. La rue reprend un peu de son aspect coutumier. De grandes affiches blanches tachent les murs. Guiorgni, qui est allé ce matin à la recherche d’un peu de lait, nous apprend qu’il s’agit d’un appel du gouvernement, invitant les « citoyens » à l’ordre, au calme, au respect des personnes et des propriétés. C’est la première fois que le mot de « citoyen » paraît sur les murs d’une ville russe !

Nous partons pour la Douma : une dizaine de verstes, aller et retour, à faire à pied, faute de moyens de locomotion.

La ville n’est pas aussi calme qu’elle le paraissait de notre fenêtre au petit matin. De menaçans autos la parcourent encore. Des fusillades crépitent au fond des rues que nous évitons soigneusement. La recherche des policiers continue dans les greniers, dans les cours et jusque dans les appartemens privés. Tout à coup, sinistre rencontre : un traîneau plat sur lequel a été jeté un corps nu, recouvert d’un drap blanc. Les jambes dépassent un peu et les pieds nus traînent sur la neige. Un renflement du drap sur la poitrine permet de supposer qu’il y a là-dessous une tête coupée. Des taches de sang maculent la misérable enveloppe. C’est, sans doute, la dépouille de quelque policier que l’on emporte vers je ne sais quel dépôt funèbre...

A certains carrefours où des combats plus acharnés se livrèrent, les murs sont criblés de traces de balles ; une fermeture en planches hâtivement posée remplace les glaces brisées des devantures ; les vitres, étoilées par le passage d’un projectile, sont consolidées tant bien que mal, avec des ronds en papier. Pas un vitrier ne consentirait à les remplacer aujourd’hui, et qui sait si l’on n’achèvera pas de les briser demain ?

Près de la caserne de la Baltique nous avons trouvé de larges traînées de sang.

Le nombre des soldats, l’affluence du peuple augmentent, à mesure que nous approchons de la Douma. Autour du Palais, ce n’est plus une cohue, c’est une multitude : têtes de Christ à