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soit substituée aux méthodes antérieures de la physiothérapie mécanique. L’avenir de centaines de milliers d’hommes est en cause, et il nous faut espérer qu’aucune manœuvre de la routine ne pourra retarder l’application de cette heureuse mesure.

Pour être tout à fait complet, je devrais, à côté de la rééducation agricole des blessés, traiter parallèlement de l’utilisation par l’agriculture des mutilés guéris. C’est un aspect particulier et non le moins important des vastes problèmes que soulèvent ensemble l’avenir de nos grands blessés et celui de cette autre grande blessée qu’est la terre de France.

Dès aujourd’hui, le problème de la réadaptation des mutilés à leur vie agricole antérieure a été l’objet de travaux et d’essais fructueux dans divers centres-écoles répartis dans tout le pays. Les amputés des membres, les aveugles eux-mêmes y sont remis en état de rendre quelques services. Beaucoup d’aveugles y ont appris à vaquer aux soins du bétail, à la traite, au jardinage.

Les amputés du membre inférieur que gêne la difficulté de la marche dans une terre demi-consistante y sont dressés à vaquer de préférence aux travaux de l’intérieur de la ferme, comme leurs camarades aveugles, et à servir de conducteurs sur le siège des tracteurs et autres machines agricoles. Il y a là, pour toute cette catégorie de mutilés, un vaste débouché qui ne peut que s’étendre à mesure que, par suite des nécessités inéluctables que nous avons signalées, le travail de la terre se fera de plus en plus par des machines. Quant aux mutilés des membres supérieurs, leur utilisation agricole est devenue non seulement possible, mais d’un excellent rendement, grâce aux ingénieux appareils de prothèse que nos spécialistes ont réalisés : bras divers articulés, mains artificielles munies de crochets, de ressorts ou de pinces, spéciaux pour terrassiers, ou pour vignerons, ou pour arboriculteurs, ou pour conducteurs d’attelages ou de tracteurs. Mais tout ceci n’est qu’un corollaire de la question primordiale de la rééducation agricole des blessés de guerre.

Très souvent ces changemens qu’on appelle « réformes » sont seulement des déplacemens d’intérêts qui avantagent les uns aux dépens des autres. Aussi lorsqu’il se présente une réforme, comme celle-ci, qui constitue un progrès pour tous et pour tout ce qu’elle touche, le devoir est d’aider autant qu’on peut les premiers battemens d’ailes de cet oiseau rare. C’est ce que j’ai voulu pour ma part tenter ici.


CHARLES NORDMANN.