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Et pourtant, comment s’empêcher de réfléchir ? Si, dans un temps comme celui-ci, il est criminel de rêver, à la manière du dilettante, en planant au-dessus de la mêlée, ne pourrait-il pas arriver, par hasard, qu’en cherchant bien, on tombât sur quelque idée juste et utile ? Life is a trial, disent les Anglais, vivre, c’est faire des essais en tout sens. Je me résous, mon cher Directeur, à tenter encore une fois l’aventure où vous m’engagez, dans l’espoir que, de ce que j’écrirai, une phrase, une ligne, un mot tombera dans quelque esprit sagace, qui le fera fructifier.


Jadis, au commencement de la guerre, je me suis demandé ce que signifiaient les actes de brutalité sauvage qui, de toutes parts, signalaient la conduite des Allemands. Il m’a semblé que cette barbarie n’était pas celle des barbares, des hommes primitifs, mais qu’il y fallait voir une méthode froidement et scientifiquement calculée, eine nüchterne Philosophie, « une philosophie conçue à jeun, » comme disent les critiques allemands. C’était, en quelque sorte, la synthèse hégélienne de la barbarie et de la civilisation.

Puis, avec tous ceux qui avaient reconnu et admiré le génie de l’Allemagne, tel qu’il s’était manifesté dans les temps passés, je me suis posé la question troublante : comment un tel phénomène a-t-il été possible ? Par quelle métamorphose l’Allemagne de Leibnitz, de Kant, de Gœthe est-elle devenue l’Allemagne de Guillaume II ? Et il m’a semblé que, si les circonstances avaient puissamment agi, comme excitations extérieures, pour déterminer ce changement, certains germes, par ailleurs, de la monstrueuse arrogance d’aujourd’hui préexistaient dans l’esprit d’autrefois, en sorte que le changement avait consisté dans l’élimination des tendances modératrices, et dans un développement à outrance des tendances victorieuses, plutôt que dans la génération spontanée d’une âme entièrement nouvelle.

Ces questions demeurent, certes, pendantes et intéressantes comme le prouvent tant d’écrits journellement publiés, en France et à l’étranger, où elles sont reprises et approfondies. Mais peut-être touchera-t-on de plus près encore la réalité qui nous étreint, si l’on concentre son attention sur le problème suivant : en quoi consistent les principes, l’esprit, le tempérament