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moral qui président à l’action allemande d’aujourd’hui ; et, puisque, selon la déclaration de tous les maîtres de l’art militaire ; en particulier de Napoléon, « les forces morales, à la guerre, constituent plus que la moitié de la réalité, » quel est le degré d’efficacité que comportent les forces morales allemandes, comparées à celles des Alliés ?


Ce n’est pas chose facile que de pénétrer dans l’âme allemande et de comprendre ce qui s’y passe. Un long et méthodique modelage (Bildung), terme par lequel les Allemands désignent l’éducation, a fait, de la conscience allemande, un monde à part. De tout temps, soit dans sa théorie du Saint-Empire romain germanique, soit chez ses philosophes, ses poètes ou ses politiques, l’Allemagne a été hantée par l’idée de l’absolu, du Tout, de l’universel. Elle a conçu ce tout, non comme une somme d’individus, comme un ensemble fait d’unités, mais comme un être substantiellement un, réellement distinct des élémens qui en forment la matière ; capable, sans doute, de se mêler à ces élémens par la direction qu’il leur imprime, mais ayant en soi, en dehors d’eux, le principe et la loi de son existence.

Toute la spéculation, tout l’effort de l’Allemagne a tendu à prendre conscience et possession de cet absolu, et à le déployer à travers le monde. Ses penseurs, un Lessing, un Kant, un Fichte, un Hegel, un Gœthe en ont donné la définition : tandis que la sagesse classique place la fin suprême de toute activité dans le parfait, conçu comme une forme, achevée et fixe, de l’existence, la pensée allemande met au fond des choses un absolu conçu comme un éternel devenir, comme une puissance contradictoire avec elle-même, ne créant une forme quelconque que pour la détruire et créer autre chose. Wie ich beharre, bin ich Knecht : « Si je persiste dans un état quelconque, je m’asservis, » dit Faust. L’absolu n’est pas un but, un terme, c’est un mouvement sans fin, c’est l’effort, non en vue du résultat, mais en vue de l’effort même : das Strebeti um des Strebens willen.

Qu’est-ce, en ce sens, que cette nature des choses (rerum natura), où la philosophie classique voyait l’objet de sa recherche ? Rien de ce que contient ce monde où nous vivons,