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de l’Empire universel, promis à l’Allemagne par la Destinée.

Et le détail même des faits lui apparaît sous un jour semblable. Telles les péripéties de l’action militaire. De longue date l’Allemand est fait à cette idée, que les voies de la Providence sont impénétrables, en sorte que la défaite même la plus caractérisée est facilement interprétée par lui comme une voie détournée qu’emploie la Providence pour lui donner la victoire. L’obéissance passive qu’on exige de lui ne lui est pas pénible. A l’école, à l’usine, dans la vie corporative, dans la vie commune, il s’est habitué à agir comme une partie dans un tout, comme une cellule dans un organisme. Il est militarisé jusqu’aux moelles. Il se trouve hors de son élément et dépaysé, quand il est forcé de se conduire par lui-même. Enfin, aux jours d’épreuve, il croit, comme à une loi d’airain, à la nécessité, à la toute-puissance du sacrifice. Au sujet de la guerre de 1870, les Allemands se vantent volontiers d’avoir, dans les batailles qu’ils ont gagnées, perdu plus de monde que l’adversaire. La victoire, estiment-ils, à la guerre comme dans les affaires, est à qui sait courir les plus gros risques, essuyer les plus grandes pertes. Telle est, enseignent les pasteurs allemands et les philosophes hégéliens, la leçon profonde du christianisme et de l’histoire : qui veut sauver sa vie la perd ; qui la perd la gagne. Se sacrifier à l’Etat choisi par Dieu pour subjuguer le monde, s’identifier avec les héros en qui l’Éternel se réalise, c’est se vêtir de gloire et d’immortalité.

« La guerre, se demande le baron Colmar von der Goltz, à la fin de son livre fameux : La Nation en armes, a-t-elle quelque intérêt pour le simple mortel, pour l’homme du commun ? — Certes ! répond-il, la récompense proposée à sa valeur est véritablement sublime. C’est la même qui brille, au haut du sentier épineux, devant le regard du poète et de l’artiste ; c’est l’immortalité ! Un charme d’une puissance irrésistible gît dans ce mot. Objectera-t-on que, si le nom des Frédéric et des Napoléon est destiné à subsister éternellement, les milliers de soldats qui sont tombés pour leur gloire sont oubliés ? Courte et mesquine sagesse ! Les soldats d’Alexandre sont eux-mêmes Alexandre ; Annibal et l’armée d’Annibal ne font qu’un. Le souvenir de la postérité ne sépare pas l’armée de son chef. Les différences de rang disparaissent à ses yeux ; et, dans la mémoire qu’elle garde des grandes actions guerrières, l’humanité honore