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La signification de la lutte est aujourd’hui tellement évidente, que la neutralité morale est devenue impossible, et que la neutralité politique et militaire elle-même ne s’abrite plus guère que derrière l’impuissance.

En fait, les nations qui n’osent entrer dans le conflit sont peut-être celles dont l’existence morale est le plus intéressée à la victoire des Alliés. Car les Allemands ne pourraient, quoi qu’ils fissent, extirper le français et les Français, l’italien et les Italiens, tandis que, vainqueurs, ils anéantiraient, en les absorbant, les nationalités qui, par certains côtés, se rapprochent de la leur. Les Allemands sont encore plus redoutables pour leurs amis que pour leurs ennemis. La guerre de 1870 fut l’absorption de l’Allemagne du Sud par l’Allemagne du Nord ; la présente guerre a pour but immédiat l’absorption de l’Autriche.

Ainsi il est bien certain que cette guerre est la lutte soutenue par la foi à l’idéal, par le dévouement à l’humanité, au droit, à la liberté, à la valeur des nationalités, contre la violence, le despotisme et le mépris de la dignité humaine.

Or, les forces morales que, de part et d’autre, une telle lutte met en jeu sont-elles égales entre elles ? Le droit qui, même au plus fort de la mêlée, refuse d’abdiquer et de céder la place à un prétendu état de nature où la violence et la fraude régneraient seules, est-il capable de susciter des énergies aussi réelles et efficaces que celles qu’engendre la doctrine brutale : pour la force, par la force ?


C’est une longue et tragique histoire que celle de la conscience humaine se refusant invinciblement, quelques assauts qu’elle doive subir, à composer avec la force. Rien de plus vraiment sublime que le mot de Caton : Victrix causa diis placuit, sed victa Catoni. Avec quel respect le monde n’a-t-il pas salué l’œuvre d’un grand artiste intitulée : Gloria victis ? Cette victoire morale du droit et de la vertu est le plus beau sujet qui puisse être offert à l’art et à la poésie. Mais l’admiration qu’elle inspire n’est pleine et entière que si, à la résistance intérieure de la conscience se joint la résolution de la volonté, décidée à tous les efforts, à tous les labeurs, a tous les sacrifices, pour transformer la victoire morale en victoire matérielle et effective. Gloria