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victis, noble devise comme prélude de cette autre : Gloria victoribus !

Il faut convenir que les Allemands n’ont rien fait pour endormir les vaincus, pour les induire à oublier. Il entrait dans leur politique de se ménager une ceinture d’ennemis. Et, la guerre déchaînée, ils se sont, tout de suite, appliqués, avec une sûreté de méthode inouïe, à exciter contre eux les révoltes morales les plus exaspérées. Rien n’a manqué de ce qui pouvait développer au plus haut point, dans les consciences, le sentiment du péril suprême que courait l’humanité. Et, de toutes parts, à mesure qu’on fut informé, cette pensée s’est fait jour : Quand la lutte est entre le bien et le mal, comment l’issue pourrait-elle être douteuse ? Il ne se peut que la justice trahisse à ce point ses défenseurs. Cette guerre est l’Armageddon de l’Écriture : la victoire a déjà fait son choix.

Avec quelle conviction, avec quelle ardeur communicative ces grandes idées ne furent-elles pas développées ! Cette éloquence, toutefois, suffit-elle à produire le miracle par où la parole se transforme en action ?

Il en faut convenir. Ce n’est pas en vain que les hommes ont, de plus en plus, à mesure qu’ils ont réfléchi, distingué entre les mots et les choses. Le temps n’est plus où l’on pensait guérir une maladie en la nommant par son nom. Ce n’est pas assez de démontrer avec une évidence éclatante et de flétrir avec une indignation sincère la barbarie allemande, pour armer les bras et les cœurs de la force nécessaire à son extinction. « Assez de paroles, » ont, dès le début, proclamé les Allemands, qui, eux-mêmes, il est vrai, ne s’en abstiennent guère, « l’heure est aux actes : »


Der Worte sind genug gewechselt,
Nun lasst uns einmal Taten sehn !


L’idéal brille dans l’empyrée ; la justice, la liberté trônent dans le monde des noumènes. Mais ces essences suprasensibles n’ont, à cause de leur sublimité même, aucune influence sur notre monde, et c’est le fait de la niaiserie ou de la lâcheté, d’attendre le triomphe de sa cause de la valeur morale qu’on lui attribue.

Si odieuses que soient ces maximes allemandes, elles portent en elles un enseignement. Il est certain que l’Évangile lui-même,