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intérieur, avec la prospérité morale et matérielle, avec la puissance de soutenir, au dehors, ses droits, son indépendance, son intégrité. Rien de contagieux, disait Bossuet, comme l’amour de la liberté. L’Allemagne s’est faite sa geôlière, parce qu’elle affecte de la considérer comme l’éternelle révoltée. Que la liberté se montre plus sage, plus forte, plus sûre que le despotisme, et sa cause pourra trouver des défenseurs sincères et influens, même en Allemagne.

Tout espoir n’est donc pas écarté a priori, de voir, quelque jour, l’Allemagne, le peuple allemand, redevenir ou devenir une nation entre les nations, admettre que le droit n’est pas son monopole et sa chose, et qu’il lui est possible de vivre sans dépouiller ou supprimer les autres peuples. Si ce jour survenait, il serait permis aux nations de respirer, et de se contenter, pour assurer leur sécurité, de mesures de défense normales et modérées. Mais, à vrai dire, l’Allemagne, alors, ne serait plus l’Allemagne. Elle, qui est devenue ce qu’elle est en se proposant d’être toujours plus elle-même, et de se faire un corps où son âme se retrouvât, elle aurait, littéralement, changé d’âme. Jusqu’à ce que ce miracle se produise, deux devoirs, avant tout, s’imposent à nous : monter la garde, non seulement à la frontière, mais à l’intérieur ; et demeurer sages, unis et forts, dans la liberté.


EMILE BOUTROUX.