Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/571

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rendit ou, plus exactement, blessé, se releva pour rejoindre au pas gymnastique des «. kamarades » qu’Ageron, après les avoir extraits et groupés, venait d’expédier vers l’arrière. » Le capitaine Ageron reçut, pour ses exploits dignes des chansons de geste et accomplis dans la bonne humeur, la croix d’officier de la Légion d’honneur. « Quand la compagnie de Clermont-Tonnerre, réserve du bataillon, formée en petites colonnes d’escouade, descendit à son tour le flanc du ravin, on put voir ce spectacle étrange, inoubliable, de deux courans d’hommes subdivisés en de multiples filets parallèles et qui marchaient en sens inverse. L’un constitué par les zouaves, la pipe et la gaudriole au bec, l’arme à la bretelle, filait d’une allure calme et tranquille vers les positions boches ; l’autre, plus dense, plus épais, était formé de files de « kamarades » silencieux qui, dans une hâte fébrile, couraient vers nos tranchées de départ, courbant l’échine sous les shrapnells de leurs frères. Aucun désordre, aucun mélange. Les files d’attaque se rapprochaient seulement des files de captifs pour quérir, au passage, les boîtes de cigares ou les saucissons livrés par les kamarades. Pendant la marche sur le deuxième objectif, rares étaient les zouaves qui ne fumaient pas un énorme cigare ; et, quand on fut arrivé, le repas de conserves s’agrémenta de délicatesses d’outre-Rhin. En tête de leurs hommes, la mine basse, manteau flottant, les officiers allemands ne sortaient de leur attitude et de leur torpeur que pour saluer les officiers français qui s’en allaient à l’attaque. »

Un autre trait complétera cette description précise et allègre. Comme la compagnie de Clermont-Tonnerre gravit les pentes Nord du ravin de la Dame, un officier supérieur allemand prisonnier, décoré de la Groix de fer et de plusieurs autres ordres, la regarde monter, puis s’avance vers le capitaine, la main tendue en un geste hésitant et une attitude contrite. Le capitaine de Clermont-Tonnerre, qui tient son revolver d’une main, prend de l’autre sa canne suspendue au bras : il se contente de regarder fixement son étrange partenaire, qui ramène aussitôt la main tendue à la visière du casque et s’incline profondément. Et ce dialogue s’échange : — « Soyez sans crainte pour vos hommes ; s’ils se rendent, on ne leur fera pas de mal. » — « Vos zouaves, monsieur, répond l’autre, sont les plus beaux soldats que j’aie vus de ma vie, — mein Leben lang. »