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dit des sornettes, qu’il est trop vieux et ne partira pas. Alors il fait des concessions : « Je veux voir des Boches, j’irai garder des prisonniers au Maroc. » Des prisonniers, va pour des prisonniers : c’est un métier de son âge. Et l’ancien colporteur s’en va. On le croit au Maroc : il se bat en Artois, il se bat à Verdun. Il revient au pays, en permission, avec deux étoiles sur la croix de guerre. « Où as-tu pris ça ? questionne l’aïeule. Pas en gardant des prisonniers, bien sûr. » Il avoue, comme un coupable. On lui pardonne et il repart. C’est ainsi qu’il fut de l’affaire de Douaumont. Son capitaine, le capitaine de Clermont-Tonnerre, avait bien essayé, — parce que, tout de même, le vieil homme en veut trop faire, — de le semer en route, en lui confiant l’une ou l’autre de ces fonctions utiles, nécessaires même, qui obligent à rester à l’arrière. Au dernier moment, Redonnet trouva le moyen de le rejoindre et, dans l’attaque, il l’accompagnait. « Le capitaine, me dit-il, a gardé sa canne sous le bras pendant toute la bataille. Il ne s’en est même pas servi pour la marche. » Et son accent qui carillonne précipite les syllabes comme si elles aussi menaient l’assaut.

Le capitaine de Clermont-Tonnerre qui, la canne pendue au bras, conduit ses hommes à la bagarre comme un père ses enfans à la promenade, ancien officier, ami et jeune disciple du comte de Mun, attaché comme son illustre patron aux œuvres sociales, a repris tout naturellement sa place dans l’armée et demandé le régiment d’élite où il sert. Son bataillon (4e : capitaine Jacquot) est peut-être celui qui, le 24 octobre, a ramené le plus de prisonniers : 1 600. Sur l’heureuse et presque joyeuse progression de sa compagnie et de la compagnie voisine, capitaine Ageron, un des acteurs a écrit : « Un abri occupé par les Boches dans le ravin de la Dame résistait, tandis que les vagues d’assaut continuaient leur marche triomphante. Le capitaine Ageron, les poches bien garnies de grenades, vient vérifier l’œuvre de ses nettoyeurs. Soudain, de l’orifice d’un souterrain, plusieurs officiers surgissent, revolver en main. Ageron lance une grenade ; par malheur elle rate son objectif, atteint le montant de l’entrée, éclate et blesse le propre ordonnance du capitaine. Des zouaves accourent : « F... le camp, leur dit Ageron, vous voyez bien que je vous tape dessus ! » Et, substituant le revolver, plus précis, à la grenade folle, Ageron se débarrasse de six adversaires. Un septième se