Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/573

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Interrogé par le capitaine, le sergent Julien se défendit d’être prisonnier. « Les prisonniers, c’est vous, dit-il. Douaumont, le fort, la batterie de Damloup sont entre nos mains et vous êtes cernés. »

« Les six officiers témoignèrent alors une grande surprise et le commandant de compagnie donna l’ordre de déséquiper les hommes. Il fit de même et sortit pour aller se rendre avec toute sa compagnie à l’officier du régiment colonial qu’il rencontra le premier.

« Les coloniaux entrèrent alors dans l’ouvrage et prirent livraison des 200 Allemands.

« En reconnaissance, sans doute, le capitaine donna au sergent Julien son revolver et son couteau-poignard à dragonne d’argent.

« Julien avait aperçu six mitrailleuses. Il en prit deux avec l’intention de les porter à son capitaine. Le sol était si peu praticable qu’il dut renoncer à conserver sa prise et qu’il remit ses deux mitrailleuses au lieutenant Roux, de la 19/52 du Génie, en disant à cet officier qu’elles appartenaient au 4e zouaves. Il regagna ensuite avec les zouaves Bourdassol et Gueno les tranchées de sa compagnie. »

La sultane Scheherazade qui, pour distraire le roi Scharriar et l’empêcher de dépeupler l’Arabie, inventait Aladin ou la Lampe merveilleuse, Ali-Baba ou les quarante voleurs et tant d’autres histoires qu’elle enchevêtrait les unes dans les autres pour en reculer le dénouement, à la façon des architectes égyptiens qui construisirent le Labyrinthe, n’aurait pu trouver mieux que l’aventure du zouave de Douaumont. Rien n’y manque, ni le chemin perdu et la surprise nocturne, ni la ténébreuse descente dans la terre, ni le réveil dans un palais enchanté, aux parois ornées de tonneaux et de boîtes de conserves, ni la salle brillamment éclairée où les chefs se rassemblent, ni le brusque renversement de la situation au profit du captif qui, tout à coup, devient le maître de ses gardiens et de leurs richesses. Assurément, dans la grande guerre, le zouave de Douaumont méritait un chapitre. Comme les musiciens introduisaient de gré ou de force un ballet dans les opéras les plus dramatiques, en sorte que le public fût préparé par le spectacle des entrechats et des pointes à la mort de Roméo et Juliette, de Raoul et Valentine, ou de tel autre