Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/577

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ligne et renforcer ainsi les deux ailes. » Le brouillard qui, après le redressement du départ, avait été si utile pour parvenir sans barrage à la voie ferrée, se lève par éclaircies et permet d’apercevoir par intervalles le fort de Douaumont. L’effet de cette apparition est prodigieux. Dès lors, c’est la ruée joyeuse à l’assaut. Cependant il faut laisser le fort aux marsouins, — quelques biffins ne résistèrent pas, nous le verrons, à l’honneur d’y pénétrer les premiers, — et se contenter de la batterie Est et de la tourelle qui sont bientôt couvertes de fantassins. « Le spectacle, dit le lieutenant-colonel Picard qui s’était porté de sa personne au-dessus de la voie ferrée pour embrasser l’ensemble de la position, était grandiose : les coloniaux, comme une marée montante, submergeaient le fort dans lequel la lutte continuait ; à l’Est, on apercevait le groupe des bataillons de chasseurs gravissant les pentes de la Caillette et de la Fausse-Côte, pendant qu’une interminable colonne grise de prisonniers remontait le glacis de Chambitoux vers Fleury. Chacun, ému, regardait son voisin, en croyant à peine ses yeux et, quand fut confirmée la prise de Douaumont, ce fut une minute inoubliable. »

Les récits du 116e et du 102e bataillons de chasseurs qui grimpèrent les pentes de la Caillette sont tout débordans de mâle allégresse. Au 116e bataillon, le capitaine adjudant-major Desombourg a pris le commandement. Avant le départ, le sergent-prêtre Nozeran passe dans les sections et donne l’absolution à ceux qui la demandent, puis, debout à côté de l’aumônier qu’un obus tuera tout à l’heure, tous deux bénissent les chasseurs qui vont partir. — « Onze heures quarante ; c’est l’heure fixée, les chasseurs se dressent, baïonnette haute. Le capitaine Desombourg lève sa canne. La première vague s’ébranle, suivie de près par les autres. Le coup d’œil est splendide : couverts de boue, de la couleur de cette terre de France qu’ils défendent et veulent arracher à l’ennemi, les chasseurs sont superbes de calme et de résolution. Que vont-ils trouver derrière la crête ? Combien de nids de mitrailleuses vont se révéler et faucher leurs rangs ? Sous quelles rafales de gros obus vont-ils se trouver pris ? Qu’importe ? Ils marchent en ordre comme à la manœuvre. Le terrain est pénible ; on dirait une mer houleuse subitement figée : de la boue, des débris, des cadavres. Des chasseurs s’enlizent, on les dégage. Le barrage ennemi commence à se déclencher. Trop tard : les vagues passent, elles sont passées. Les