Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/580

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la curiosité et le désir d’emporter un souvenir vont-ils arrêter leur course et compromettre la pleine réussite de leur attaque ? Un clairon a observé cet arrêt à peine perceptible de nos lignes d’assaut et soudain, vibrant et clair, on entend retentir sur le plateau les notes entraînantes de la charge : Y a d’la goutte à boire là-haut, y a d’la goutte à boire... L’irrésistible sonnerie émane de l’âme même de la vieille France, rappelle à chacun où est le devoir, et la poursuite continue, implacable et serrée. Nous touchons au but : la deuxième ligne allemande est entre nos mains. Mais sera-t-il donc impossible d’accuser le coup, de signifier à l’adversaire notre volonté de vaincre et de reconquérir pied à pied le sol qu’il nous dispute ? O surprise ! sur notre récente conquête deux gradés viennent de planter soudain un drapeau d’étamine aux trois couleurs. A cette heure, sur le sol qu’ont ensanglanté de longs mois de luttes, la vive nuance de cet étendard de fortune semble crier à l’ennemi défaillant : — « Verdun est la poterne du Rhin. Gardiens vigilans du patrimoine qu’ont amassé nos pères, fidèles aux traditions qu’ils nous ont léguées, nous luttons pour la liberté du monde. Nos pas demain réveilleront les morts de Lorraine et d’Alsace. »

Trop rarement, dans cette guerre souterraine de tranchées et de mines, d’entonnoirs et de camouflets, de va-et-vient sur les mêmes lieux dévastés, dans cette guerre d’attente, d’endurance, de souffrance et de patience, l’occasion s’est présentée de sentir passer sur soi le souffle puissant de la Victoire. Ceux de la Marne étaient si las de leur redressement fantastique qu’ils n’ont pu comprendre qu’après coup toute l’immensité de la tâche surhumaine accomplie par eux. Le désintéressement du soldat a revêtu, pendant tant de jours, un caractère quasi sacré qui l’apparente au renoncement de la sainteté. Mais là, dans cette bataille de Douaumont, la victoire, on la tient au cou, on ne la lâche plus : on avance, on conquiert et, ce que l’on conquiert, ce sont des coins de sol déjà tout chargés de passé historique par un flux et un reflux de cent combats. Alors, de tous ces récits, de toutes ces paroles recueillies, jaillit une belle flamme claire. J’ai eu l’occasion de lire bien des rapports, de regarder sur le terrain même bien des visages : une telle expression d’allégresse, je ne l’avais pas encore rencontrée. C’est la fleur poussée sur le cratère de Douaumont.