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de la première vague, les hommes présentent des cigares à leur chef qui doit se fâcher pour les remettre dans la réalité, mais qui est désarmé par un courage si rapidement insouciant, et c’est avec la « permission de fumer » que la section se dirige vers le premier objectif. Le but atteint, en liaison avec le 4e régiment mixte à gauche et le 321e régiment à droite, on s’organise surplace, et l’on commence à creuser une tranchée sous la protection des petits postes qui sont détachés en avant.

Au tour maintenant du bataillon Croll. Il a dû achever, avant de partir, de briser la résistance de la tranchée Augusta. Dans la marche en avant, à l’Est de l’ouvrage de Thiaumont, à cause du brouillard et des difficultés de terrain, un certain mélange se produit parmi les unités avec déviation de direction. Il faut modifier les ordres primitivement donnés et boucher d’extrême urgence un trou dans les lignes. Du bord de son trou de marmite qui lui sert d’observatoire, le chef de bataillon fait un signe, l’agent de liaison Demousaix, tout jeune, presque un enfant, s’avance. « Pour recevoir les ordres sans être vu, il faudrait que l’homme vint se coucher contre son chef. Il n’y pense pas. À genoux et respectueusement penché, il écoute les ordres à transmettre. Il va partir, mais un mitrailleur l’a repéré. Il est atteint de plusieurs balles et s’affaisse sur place, perdant son sang à flots. Un autre agent de liaison vient prendre sa place… » Quelques jours plus tard, au retour de la bataille, le chef de bataillon cherche un emplacement. Voici les anciennes lignes allemandes. Un trou d’obus : le petit coureur est toujours là, dans son attitude déférente, simplement affaissé comme s’il était fatigué. Il a été respecté par les projectiles. Un salut, il faut partir. Tout à l’heure, les brancardiers divisionnaires viendront relever le corps du courageux enfant…

Le bataillon Croll dépasse le premier objectif occupé pas le bataillon Modat. Il doit contourner le fort à droite et à gauche, et le bataillon Nicolaÿ, qui doit le suivre de près, abordera de front Douaumont. Suivant le barrage protecteur de l’artillerie, les patrouilles, précédant les vagues, progressent de trous en trous. Soudain, un obstacle plus considérable se dresse. Nul doute : c’est le fossé du fort. Le brouillard commence à se déchirer sous l’action du vont qui se lève. Le fort est là. Le caporal André Barranger qui dirige la patrouille de tête connaît